Sens of Wonder

Le SoW est quelquefois un rasoir à deux lames: la première ne s'est pas encore totalement rétractée que la seconde attaque le poil.

Exemple chez Ballard (Vermilion sands) où au-delà de l'enchantement du décrit, une phrase rythmiquement parfaite, musicale à souhait est une exceptionnelle valeur ajoutée qui apporte le frisson: "Dans les déserts d'ombre de ses yeux éteints passaient des souvenirs comme des caravelles sans voiles." (je suis néanmoins conscient que le travail du traducteur y est aussi pour beaucoup dans l'effet rendu)

Itou chez Bradbury (à un niveau moindre ici dans l'exemple) in "Les chroniques martiennes" : "Dans des bateaux bleus et légers,...des formes violettes, des hommes masqués, des hommes aux visages d'argent, avec des yeux d'étoiles bleues, des oreilles sculptées d'or, des joues d'étain et des lèvres serties de rubis, des hommes aux bras croisés, des Martiens"

coucou, sympa le sujet lacroute.

Le SoW est également amha plus facilement présent en Fantasy qu'en SF, ne serait ce que pour des raisons esthétiques. (Le vertige procuré par la hard SF ou l'emballement pour des romans de purs SF n'ont pas vraiment cet émerveillement bucolique que tu sembles attribué au SoW.)

Ce sont les passages éthérés, qui ne souffrent pas l'emphase et l'attachement, mais qui parviennent à se couper, à délier leurs racines immédiates en conservant le parfum de l'ambiance, les fragrances du terreau stylistiques. On peut occulter les précisions, on ne stagne plus que dans une sphère de sensations; c'est la pure matérialisation du texte en pulsations rythmiques et organiques.

		Citation : Exemple chez Ballard (Vermilion sands) où au-delà de l'enchantement du décrit, une phrase rythmiquement parfaite, musicale à souhait est une exceptionnelle valeur ajoutée qui apporte le frisson: "Dans les déserts d'ombre de ses yeux éteints passaient des souvenirs comme des caravelles sans voiles."

C'est ça les petits bouts tentateurs ?
Bon, mais ça c'est l'émotion poétique, ce n'est pas le SoW spécifique à la SF ?

		lobo : Par exemple, les "fins du monde" peuvent receler beaucoup de SoW (à mes yeux).

En rapport à la fin de l'Humanité (donc du monde des Hommes), voici ce que disait Thomas Disch en parlant de son roman Génocides (en 1979) :

"Pour moi, il a toujours été esthéthiquement peu satisfaisant de voir quelque juggernaut géant représentant une force étrangère se prendre tranquillement une raclée à la fin d'une nouvelle traitant d'invasion. Il me semblait parfaitement naturel de dire, soyons honnêtes : le réel intérêt de ce genre d'histoire, c'est de voir un cataclysme dévastateur anéantir le genre humain. Il y a une grandeur dans cette idée que tout le monde refuse et rend mesquine. Mon intention était simplement d'écrire un livre dans laquelle ne serait pas gâchés cette beauté et ce plaisir à la fin."

Une beauté tragique...

		lobo : ça c'est l'émotion poétique, ce n'est pas le SoW spécifique à la SF ?

+1

		Jekub : Le SoW est également amha plus facilement présent en Fantasy qu'en SF

Je crois n'avoir jamais ressenti de sense of wonder en fantasy :-/
A ma décharge, mes lectures du genre se comptent sur les doigts d'une main : un Corum (Moorcock), Le maître des ombres (Zelazny) et éventuellement Ariosto Furioso (Yarbro).
Quelques éléments de L'aube écarlate (Shepard) peuvent en être aussi.
...
Et son Dragon Griaule (en nouvelle) !!!
Argh! Je me suis fait eu... Du sense of wonder en fantaaaaaasy..!

(Enfin, sans doute suis-je généralement moins sensible aux univers-mondes, la beauté de leur décors et textures, etc, qu'à d'autres éléments d'un récit)

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Un précédent sujet sur la question du sense of wonder

Lobo

		Citation : ça c'est l'émotion poétique, ce n'est pas le SoW spécifique à la SF ?

Oui, bien évidemment. Il est potentiellement inclus à tout écrit quel qu'il soit.
Comme ce concept est difficile à expliquer, bongu de bongu.
Ce que j'essaie d'expliquer est qu'à mon sens la plus belle, la plus énivrante, la plus vertigineuse idée brute du monde SF, si elle n'est pas enrobée d'une forme toute aussi alléchante, AMHA, tombera à l'eau. Ainsi donc, l'émerveillement ne naitra que d'un couple fond, forme.
En imageant, le topo me rappelle ma première lecture de Peter F. Hamilton via "Dragon déchu": les bonnes idées vectrices de SoW y pullullaient à foison mais tombaient à plat au regard de la faiblesse du style. C'est peut-être ce que je reproche à la hard-SF: un fond d'exception en mix avec une forme à mon sens peu alléchante. Et c'est ce que je ressens en mettant les premiers pas dans "L'Espace de la révélation": des idées sans nombre, bluffantes, époustoufflantes associées à un baratin classique. Je dis que c'est dommage de gâcher.

PS: je suis ému de constater que mon petit bout tentateur c'est de l'émotion poétique pure. C'est la première fois qu'une fausse fille me dit çà..!

J'aime bien l'idée de la beauté tragique.


Une pluie à Malevil, les derniers mètres de Marche ou Crève, sous le chapeau du Mulet, le miroir d'ambre, les mulefas et Iorek Byrnison, une plage à Vermilion Sands,la communion de la Horde face au vent, les couleurs dans la Rose de Harness, le Fleuve Thétys en radeau, le village des bikuras et les marées du temps (un trauma, j'en fais des cauchemars !), le Passé vertigineux du Monde Inverti, le coeur révélateur de Poe, les Ents des forêts de Fangorn, le pays imaginaire de Peter Pan ...

Ce sont des moments où un livre par le froissement des mots et des idées crée suffisament d'électricité statique pour qu'une décharge électrique veuille se dissiper par mes doigts et dans tout mon système nerveux. Ces frissons là sont généralement causés par un moment de sens of Wonder.
C'est plutôt ponctuel et, c'est malheureusement de moins en moins fréquent au fil du temps... Je dois être atteint d'une altération morphologique dite de la cage à Faraday.

		Franz : Excellente référence! Rob Reiner était un génie...

C'es quiii ?

		lobo : Le SoW "ironique" de Egan

Je pense à une lecture récente, le SoW ironique de Abattoir 5 de Vonnegut : un témoignage tragique, sans espoir qui donne pourtant à contre-temps une éloquente beauté à notre existence.

Je propose, dans l'élan, le SoW humoristique !? par exemple, le pastiche de Willis : Sans Parler du Chien. L'angleterre victorienne a une beauté toute acquise, mais, l'humour et la science-fiction de Connie Willis y participe beaucoup !

		Citation : je suis ému de constater que mon petit bout tentateur c'est de l'émotion poétique pure. C'est la première fois qu'une fausse fille me dit çà..!

MdR
Mais blague dans le coin, je trouve vraiment intéressant qu'on essaie de dire, comme ça, de façon assez impudique, et sans craindre d'être maladroit, pourquoi cette littérature nous tient tant à coeur.
Je comprends mieux ce qui titille Lacroute grâce à ses petits bouts tentateurs, et je me rends compte que moi, je suis complètement (mais alors complètement) indifférent à la beauté du style, à la mélodie de la phrase, à la poésie des mots eux-mêmes (en SF s'entend, j'ai parallèlement une deuxième vie de lecteur), c'est pas du tout ça qui fait naître en moi le SoW.
A Jim, à propos de sa citation de Disch, plus que de beauté tragique, je parlerais de "sublime". Au sens strict, le "sublime" c'est cette émotion esthétique qui naît du contact avec une réalité (ou une fiction) à la fois grandiose et terrifiante... Il y a un sublime SF qui est aussi une source de SoW amha. Typique de ce sublime : les fins du monde. Il y a pas mal de bouquins là-dessus, notamment sur le sublime nucléaire dans la SF des 50's : par exemple American Science Fiction and the Cold War de David Seed.
A Bouquet, oui, Connie elle l'a complètement, le SoW, dans ses nouvelles, dans Sans Parler du chien, dans Passage...

		Citation : A Jim, à propos de sa citation de Disch, plus que de beauté tragique, je parlerais de "sublime". Au sens strict, le "sublime" c'est cette émotion esthétique qui naît du contact avec une réalité (ou une fiction) à la fois grandiose et terrifiante

La nouvelle Pauvre petit garçon de Dino Buzzati. Une fin ultime, et "sublime" ?
Le K est typiquement une lecture qui me transforme en générateur électrofiction.

		lobo : Au sens strict, le "sublime" c'est cette émotion esthétique qui naît du contact avec une réalité (ou une fiction) à la fois grandiose et terrifiante...

Intéressant. Merci.

		BdN à propos de Rob Reiner : C'est quiii ?

Hmmm. Monsieur De Nerfs ne semble pas avoir toute sa tête. Il faut, d'urgence, lui remettre les idées en place.
Vite, une infirmière! Mademoiselle Wilkes...

MDR..!
La Wilkes, BanqueDeNeurones, possède un SoW des plus romantiques, très typé douceur, calme, compassion et empathie. C'est à elle seule le SoW personnifié, celui qui en résume toutes les composantes. Laisses toi bercer dans le nid meolleux d'émerveillement absolu qu'elle saura construire autour de toi, rien que pour vous deux dans ce chalet au feu de chaumière ronronnant. Elle te collera son vertige de la hard-science d'un soufflet léger sur les joues, la poésie de ses mots doux aussi légers que des noms d'oiseaux. C'est en outre la fée Wonderbra qui saura te consoler au creux de sa généreuse poitrine.
Aies confiance, BdN, Lacroute ne souhaite que ton bien-être extatique: Wilkes c'est le nirvana.