J’arrive un peu après coup et en plus le sujet a dérivé mais tant pis ! En plus, j’
hésaïte, dois-je balancer dans ce thread tout ce qui me vient à l’esprit sur le sujet ou créer un nouveau thread "SF et prospective"?
Bon, je continue ici…
Quand je lis :
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| | morca :
Y-a-t-il une oeuvre qui vous semble avoir un potentiel prophétique ? |
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Alors je réponds forcément : ouaich et pas qu’une seule.
Aïe ! Je sens que je vais faire long…:/
Parce que voyez-vous, à vrai dire et à bien regarder, c’est tout un pan de la SF qui me semble avoir un
"potentiel prophétique". Et je dirais même plus : tout un pan de la SF ! ;D
Bon, je préfèrerais parler de potentiel "prospectif" plutôt que "prophétique", terme que je trouve un chouïa
mystique. ;P
La créativité de certains auteurs de SF est telle que les études prospectives gagneraient à intégrer certaines idées science-fictives. Ces études ont en effet longtemps eu une tendance chronique à ce que j’appellerais - pour simplifier et en exagérant délibérément, j’en ai conscience, pas taper siouplé - l’
extrapolation.
Il serait facile d’insister sur certains plantages d’études (celles pratiquées pendant la guerre froide qui avaient du mal à faire abstraction de ce contexte, celles qui n’ont pas vu venir le premier choc pétrolier, celles qui prévoyaient une quasi disparition de la consommation de pétrole pour l’an 2000, etc…) mais – et là, je fais miens des propos tenus par
François Plassard [1] - ce serait nier la difficulté qu’il y a dans les études prospectives, à s’affranchir des systèmes de pensée dominants.
Et ça, c’est sans doute un des atouts majeurs de la réflexion science-fictive que de tenter de le faire.
<digression>
A propos de prospective, je ne peux m’empêcher de vous confier que j’ai pris grand plaisir à lire ce que
R. C. Wagner fait dire au héros de
Les futurs mystères de Paris [2] :
" Ramirez et moi, nous sommes connus sur les bancs de l’Institut de Prospective appliquée, dont nous suivions les cours sans grand espoir de faire carrière dans la profession. L’ancienne école prospectiviste a pris un sérieux coup dans l’aile à la suite de la Terreur(*), et la nouvelle peine à faire accepter ses vues. Les gens se méfient, maintenant. On leur a fait miroiter autrefois des graphiques et des équations, des calculs et des projections, en leur disant que c’était à cela que leur futur ressemblerait, ou peu s’en fallait. Puis l’imprévisible s’est produit – et les données sur lesquelles reposaient ces chiffres et ces évaluations ont été radicalement modifiées. Bouleversées au-delà de toute reconnaissance.
Tout ça pour dire que, plutôt que d’étudier, nous avons préféré passer l’année universitaire à jouer au morpion. "
(*)
Si vous voulez savoir ce qu’est la "Terreur" évoquée dans cet extrait, lisez Les futurs mystères de Paris sinon considérez qu’il s’agit d’évènements qui se sont produits au début du XXIème siècle et qui ont changé la face du monde. ;D
</digression>
Bon, j’arrête de taper sur les études prospectives qui ont le mérite d’essayer de nous proposer des éléments pour bâtir notre futur et je reviens au sujet. Parlons de la SF
prospectiviste.
Il est bien sûr classique et complètement fondé de considérer l’œuvre magistrale de
Brunner comme visionnaire mais elle n’est pas la seule. Je ne suis pas convaincue qu’à l’époque où les auteurs cyberpunks osaient interfacer l’être vivant et la machine, il était
acquis comme cela l’est aujourd’hui, que
la chose était vraisemblable. Qui aurait alors parié sur la faisabilité en 2000 de travaux tels que ceux de
Kevin Warwick ?
Sans compter d’ailleurs l’arrière-plan souvent présent dans le cyberpunk : ces multinationales sans scrupules qui régissent le monde… C’était pas bien vu ça ?:/
On pourrait parler également de
Norman Spinrad qui, avec son
Jack Barron et l’éternité, dénonçait avant l’heure la merde médiatique dans laquelle nous baignons ou sommes sur le point de baigner aujourd’hui et enfin, tout récemment, de la vision de
Claude Ecken des media et de l’information [3].
En sautant pas mal d’intermédiaires pour ne pas vous lasser, je dirai que la SF me paraît être une bonne source de réflexion sur une société qui passe de
technologique à
cognitive pour reprendre les termes des spécialistes de la prospective.
Remontons maintenant dans le temps juste pour se faire plaisir..
En 1946, à une époque antérieure à l’invention du transistor (1948) et à son utilisation dans les ordinateurs en 1956,
Murray Leinster écrivait une nouvelle stupéfiante :
A logic named Joe.[4]
Dans cette nouvelle, les
logics ne sont rien d’autre que des hybrides PC/IA que l’on a chez soi, des hybrides avec écran et clavier (incroyable, non ?)qui peuvent aller chercher des infos dans des
réservoirs (nos banques de données…). Au fait qu’à l’époque, l’ENIAC, énorme ordinateur de 30 tonnes utilisant la technologie des lampes, laissait peu présager la miniaturisation spectaculaire des composés électroniques, il faut rajouter que, jusqu’au début des années 50, l’usage de l’informatique était réservé aux militaires et qu’envisager comme l’a fait
Leinster qu’un petit ordinateur très performant soit installé de façon banale chez le
vulgus pecum était carrément visionnaire !
Alors voilà, tout ça pour vous dire que
je verrais bien – sans déconner – que les écoles enseignant la prospective intègrent dans leur cursus, des cours de SF, histoire d’ouvrir les esprits aux
"sauts" possibles (technologiques ou autres). D’ailleurs cela a peut-être déjà commencé à se pratiquer, je n’en sais rien. Toujours est-il qu’il n’est pas rare de voir des spécialistes de prospective évoquer la SF. Certains d’entre eux vont même jusqu’à faire des ouvrages
borderline comme
Thierry Gaudin [5] à qui l’on doit cette phrase [6]:
"Quand il s’agit d’avenir, le vrai sérieux n’est pas où l’on croit".
Pour donner mon avis personnel à
morca sur le siècle qui commence, je dirai juste que nous allons assister selon moi aux premières retombées des résultats de la convergence NBIC (j’en ai parlé à plusieurs reprises dans ce forum et ne détaillerai pas). Amha, lorsque je boufferai les pissenlits par la racine, j’ai le sentiment que le transhumain, posthumain - appelez cela comme vous le voulez - bouleversera un tantinet pas mal de trucs à commencer par le fait qu’en parler ne sera plus, comme c’est le cas aujourd’hui, une source d’incompréhension majeure entre vous et votre honorable voisin..
Mais si ça se trouve, je suis victime
à l'insu de mon plein gré d'un système de pensée dominant... ;)
Si vous avez lu jusque là, chapeau ! Vous êtes du genre courageux ! ;D
zomver
[1] Rétrospective de la prospective – François Plassard
[2] L’Odyssée de l’espèce - R.C. Wagner.
[3] Le monde tous droits réservés parue dans le recueil éponyme de Claude Ecken
[4] Nouvelle parue dans une anthologie dirigée par Patrice Duvic: Demain les puces - Pdf n°421
[5] 2100 Récit du prochain siècle – Thierry Gaudin. Ed. Payot
[6] 2100 Odyssée de l’espèce – Thierry Gaudin. Ed. Payot