Pourtant, quelques originaux sont encore restés, après avoir assistés à cette double désertion. Parmi eux se trouve une tribu indienne qui revit pour sa plus grande joie au sein de la nature, parmi les grandes forêts et les vastes pleines fertiles à présent régénérées à bloc qui leur avait été jadis confisqué par l'homme blanc comme il savait si bien le faire. Se trouve aussi un vieux couple, Martha et Jason qui ont développé une attirance accrue envers leur terre nourricière, une admiration humble, et une volonté de s'incarner en une sorte de gardiens de phare, accueillant ceux de leurs frères envolés qui reviendraient sporadiquement pour quelques temps sur leur berceau. Ces quelques humains se trouvent également en compagnie d'une espèce bien étrange : Les robots. Des robots par milliers, anciennement serviteurs dociles de leurs maîtres humains, aujourd'hui désœuvrés, errant sans but et cherchant avec empressement une quelconque tâche pour combler le besoin programmé en eux. Certains d'entre eux se dévouent à une tâche occulte, dans leur coin, à l'abri des regards humains, qui ne s'y intéressent guère de tout de manière. D'autres, d'avantage désireux de contribuer tout de même à l'idéal humain, se mettent en quête de la vérité christianique, épluchant heure après heure les textes bibliques pour en découler la logique transcendantale.
Maintenant que l'imposant décor est posé, chroniquons. On remarque d'ambler que le livre est sûrement trop court pour toutes les pistes qu'il a l'ambition d'explorer. Mais cela n'entache pas le plaisir, on est simplement triste que l'étincelle fougueuse exulte aussi brièvement. À Chacun ses Dieux est un roman entremêlé de chroniques journalistiques d'un des personnages, et d'un texte à la narration classique alternant les points de vues. On assiste donc à une multiplicité d'émotions, de réflexions personnelles et d'autres interrogations existentielles. Le point commun, la ligne directrice, le titre en donne la couleur. Chacun se cherche, part à la conquête de sa vérité. Jason et sa famille persistent à vouloir comprendre, à savoir ce qui s'est réellement passé il y 'a cela des millénaires, quand les humains sont partis, et quel est le lien avec les singuliers pouvoirs accordés à la race humaine. Le jeune chasseur inconnu fuit et pourchasse à la fois une ombre mystérieuse, angoissante, qui pèse sur son peuple à l'ouest. Quand à Étoile du soir, cette jeune indienne qui semble pouvoir parler instinctivement à la nature, elle est également poussée à chercher une valeur plus haute, englobante, qui puisse établir la signification de tout cela. Seule la tribu nomade retournée à ses coutumes ancestrales, la tribu à la sagesse séculaire de Nuage Rouge, vit en harmonie paisible et sans heurts avec une nature qu'ils respectent et qu'ils n'exploitent plus inconsidérément contrastant avec la défunte société matérialiste. Mais ce seront également les premiers touchés par la nouvelle effroyable : Le retour des autres. Les autres, ceux disparus sans explication, sont en marche à bord de leurs gigantesques vaisseaux afin de recoloniser leur planète natale. Le retour annoncé de la folie humaine aveuglée par son avidité et ses machines bruyantes ; le retour proclamé d'un mépris légendaire envers ses voisins naturels.
Je ne vous dévoile bien sûr pas la fin, mais en définitive, l'impression qu'on ressent à la lecture de cette œuvre est sans conteste d'essence purement
Simak
ienne. La fascination respectueuse de la richesse naturelle, l'expression angoissée et attristée face aux ravages sans vergognes de l'Homme sur son environnement ; une impression d'un immense gâchis qui ne peut s'arrêter dans sa marche destructrice ; un étouffement mélancolique d'une époque révolue aussi bien que celle à venir, celle qui aurait pu être vécue autrement, celle où on l'on se prend à s'égarer en songes simples et cristallins, qui en feraient sans doute rire plus d'un, un de ces humains pressés et cupides, persuadé de la légitimité de sa propriété privée et autres vanités, certain de trouver le bonheur au bout de ses calculs rentables, ayant trop d'orgueil pour admettre qu'il puisse le trouver au simple contact de ses cinq sens.Oui, on l'a compris, À chacun ses Dieux est rempli de stéréotypes, de poncifs éculés, d'une naïveté enfiévrée qui vous prend à la gorge, impuissant, presque honteusement. Et malgré cela, toute la beauté euphorique des feuilles d'automnes bruissantes et du parfum de l'orage torrentiel se tient là, lovée comme les livres poussiéreux d'une bibliothèque vermoulue, dans ces rêves de simplicité.
"Il se baissa, mit ses mains en coupe, les plongea dans le fleuve, puis les éleva. Elles étaient pleines, mais l'eau s'échappait entre ses doigts, ne laissant qu'une minuscule mare aux creux de ses paumes. Il ouvrit les mains et laissa l'eau s'écouler, retourner au fleuve. C'était ainsi que cela devait être, se dit-il. L'eau, l'air, et la terre s'échappaient quand vous tentiez de les retenir. Ils refusaient d'être attrapés et conservés. Ils n'étaient pas quelque chose que l'on pouvait posséder, mais quelque chose avec quoi on pouvait vivre."