|
Ceci est à quelques détails près une histoire vrai.
Mon mari avait déjà eu une épouse, dans une autre galaxie, une jeune femme distinguée impitoyable qu’il avait fini par quitter ne supportant plus ce qui avait fait son charme d’antan, 15 tentacules recouvertes de soies.
Nous nous étions rencontrés dans un club réservé aux officiers humains sur un petit satellite artificiel aux confins d’une galaxie finalement assez peu et mal fréquentée.
Ce n’est qu’après quelques mois à bord du même vaisseau marchand qu’à l’occasion d’un stationnement sur Terre j’ai eu l’occasion de rencontrer mes beaux-parents et plus particulièrement ma belle-mère.
Omniprésente, grande et svelte, sèche, directive et sans le moindre geste d’affection sinon forcé, je commençais à comprendre pourquoi mon mari avait choisi comme première épouse ce qu’il avait pu trouver de moins humain.
Ma belle-mère était étouffante au possible et au delà, prenant part à la moindre conversation même si elle n’en connaissait pas la teneur, s’avisant de tout, avisant sur tout. Elle finissait par me donner envie de finir mes jours sur une planète inconnue et inhumaine.
Sa cuisine ressemblait à des rations militaires en temps de guerre et de famine, impossible de faire un vrai repas. Une salade pour douze personnes, un pain pour huit, un poulet d’un kilo à peine pour six et au bas mot une pomme de terre par personne. Je glissais à mon mari qu’à sa prochaine invitation à dîner, nous pourrions réserver dans un restaurant pour avoir un vrai repas après celui que sa mère allait nous préparer et qui ressemblait plus à un apéritif.
Je comprenais alors pourquoi mon beau père était si maigre, pourquoi sa femme aussi l’était. J’eu la vrai clé du problème lorsque je l’accompagnais au marché du coin. La Terre malgré des années d’ouvertures sur une économie intersidérale, n’avait rien perdu de son charme désuet, certaines contrées avaient gardé intactes des traditions comme les marché de plein air, les restaurants gastronomiques géographiques.
Persuadée ce jour là que j’allais profiter des senteurs de la Provence que j’aimais tant pour y être née, je découvris avec stupeur que ma belle-mère n’avait pas du tout l’intention de flâner dans les allées odorantes des étales dressés sur une place de village. Son petit slider s’arrêta devant l’enseigne d’un grand magasin de produits bas de gamme. Ce genre de magasins proposait surtout des produits presque périmés, des denrées de second choix et surtout d’assez mauvaise qualité.
Suivant Aminthe (c’est son prénom) dans les travées du supermarché, j’observais son comportement, elle regardait chaque prix, chaque étiquette, comparait chaque produit, prenant plus de temps qu’il n’en faut normalement pour choisir un yaourt nature, elle resta longuement devant le frigo ouvert expertisant une à une les trois marques de laitage fermenté, pour finir elle prit, comme pour les précédents produits ayant subi son œil expert, le moins cher.
A mon retour des courses je m’en ouvrais à mon mari qui me promettait, devant ma mine déconfite, un dîner dans un superbe restaurant provençal reconnu dans pas moins de cinq guides intergalactiques de gastronomie. J’exultais mais ne perdais pas de vue l’épineux problème que m’avait exposé l’attitude ma belle-mère.
Visiblement c’était une famille riche, très riche, un héritage les avaient laissé loin du besoin.
C’est au cours du fameux dîner promis par mon mari que je lui reparlais des courses avec sa mère. Il éluda d’abord la question d’une gorgée de vin mais finit par répondre après mon quatrième assaut.
- Ils sont vieux tu sais, ils ont connus la grande guerre contre les Rakhs et ne s’en remettent pas vraiment, enfin surtout ma mère.
- Mais quand même, elle ne mange pas de beurre de peur du cancer, ils habitent une maison construite pour les populations pauvres alors qu’ils pourraient vivre dans une belle maison loin des usines et du spatioport, ils pourraient avoir des robots de ménage et de cuisine.
- Non ma mère refuse les robots, elle en a peur.
Nous finîmes de dîner sans rien ajouter mais je comprenais alors mieux ma belle-mère et mes beaux-parents. Ils avaient honte de leur argent.
La deuxième anecdote qui illustre bien l’attitude déplacée et hors du temps d’Aminthe survint lors d’une mission que j’assurais seule vers Proxima.
Je reçus dans ma cabine personnelle un appel de ma belle-mère, elle était visiblement d’humeur joyeuse et me parla quelques minutes de tout et de rien. Elle voulait simplement prendre de mes nouvelles, et au bout d’un petit moment me lâcha sans ciller :
- Vous savez si Luira-Meare a eu son bébé ?
Je restais sans voix, frappée par ce nom sortit d’un lointain passé que mon mari voulait oublier et dont je ne voulais pas entendre parler. Luira-Meare était l’ex-femme de mon mari et leur relation s’était terminée sur un divorce houleux, la belle tentaculaires avaient toujours assez de places entre ses soies pour d’autres partenaires que son mari légitime.
Le culot de ma belle-mère me déstabilisa pour un moment. Je répondis pourtant poliment que je n’en savais rien et qu’il aurait peut-être mieux valu en parler directement à l’intéressée ou à sa mère avec qui, je le savais Aminthe avait gardé contact puisqu’elles fréquentaient toute deux le même lieu de culte.
Ma belle-mère prit congé de moi aussi soudainement qu’elle le faisait chaque fois qu’elle me contactait, n’attendant généralement pas que j’ai fini de répondre à la question qu’elle venait de me poser, elle me disait au revoir, et son visage ridé et émacié disparaissait de l’écran de communication, me laissant toujours surprise, la bouche ouverte sur un mot en suspens.
J’appelais mon mari dans la minute où cette conversation improbable se termina, il sourit, gêné de ce que venait de me faire subir sa mère.
Je comprenais alors qu’elle manquait terriblement de tact.
Mais c’est à l’occasion d’un enterrement que je comprenais à quel point cette femme déroutante semblait perdue dans notre société ouverte à tout l’espace.
La tante de mon mari décéda subitement d’une longue maladie.
Nous nous rendîmes à ses funérailles, anéantis tout deux par la nouvelle, la femme qu’on allait incinérer était une grande amie et une vraie confidente pour nous deux et notre couple.
La cérémonie animée par son veuf nous laissa trempés de nos larmes et pourtant je ne peux oublier ce jour comme une sorte de plaisanterie hors du temps.
Ma belle-sœur ne pouvait s’arrêter de pleurer et personne ne prenait soin de la consoler, ni son père, ni sa mère, comme cela aurait du finalement être le cas, je poussais alors mon mari à la prendre dans ses bras et à lui apporter le réconfort qu’elle attendait visiblement sous ses yeux rougis.
Mon mari le fit, mais alors que nous nous apprêtions à sortir ma belle-mère tira Vincenzo (mon mari) par la manche de son uniforme. Sentant que mon mari s’arrêtait de marcher, je stoppais net, et regardais avec stupeur ce que ma belle-mère désignait de son doigt : une gerbe de fleur et une couronne avec une belle banderole arborant en lettres d’or sur fond violet : « A notre Sœur, Tante et Amie de toujours. » Famille Lisso.
Et ma belle-mère d’ajouter : - Tu as vu, c’est la notre, elle est belle ?
Je restais interdite et choquée de son attitude, visiblement heureuse de son geste, elle oubliait la peine des proches de cette femme décédée.
Ma belle-mère était si maladroite.
Avec le temps j’ai fini par accepter ses travers agaçants, son militarisme culinaire, ses bourdes à répétition et son manque de tact. Finalement ses innombrables ratages sont des sujets de rires entre mon mari et moi et j’arrive même à trouver du bon à nos visites annuelles, guettant alors l’anecdote suivante qui nous laissera un sourire sur le visage pour une année de voyages et de travail dans les étoiles.
Depuis mon mariage, et depuis ma belle-mère, l’espace me paraît moins sinistre, et mes missions ponctués de ses appels surprises sont devenues moins routiniers.
Oui je le dis, sans elle, l’espace serait moins amusant.
Voila
|
|