Cadavres exquis
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Monsieur Clers
un cadavre exquis proposé par JC

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JCFragonE-Traym


Monsieur Clers

Chapitre 2 proposé par Fragon
Ce texte a été déposé le 09/08/2006


     Monsieur Clers sortit le contenu du paquet : un petit cube enveloppé dans une sorte de tissu brun, qui semblait lourd pour sa taille. Il s'apprêtait à le déballer lorsque le téléphone sonna. Il en fut vivement contrarié. N'avait-il pas précisé à Annie qu'il souhaitait être tranquille ? Allons, cela devait être important pour qu'elle lui passât la communication. Il décrocha.
«Est-ce bien ce que vous attendiez, Monsieur Clers ?» demanda aussitôt une voix féminine.
     Monsieur Clers sentit la moutarde lui monter au nez.
«Non, mais qu'est-ce qui vous prend, Annie ?» s'exclama-t-il.
     Sans attendre la réponse, il se leva d'un bond et ouvrit furieusement la porte du bureau de son assistante.
     Annie n'était pas dans la pièce.
     Cela ne lui ressemblait pas. Il n'était pas dans ses habitudes de prendre une pause à peine arrivée au travail.
     L'humeur de Monsieur Clers ne s'en trouva pas améliorée, loin de là. Il se saisit rageusement du combiné.
«Qui est à l'appareil ?» beugla-t-il.
«Monsieur Clers, vous allez prendre des vacances.»
     Monsieur Clers fut suffoqué. Non, mais, qu'est-ce que c'était que cette pimbêche ? La voix était jeune, mais ce n'était pas celle d'Annie.
«Des vacances, je viens d'en prendre, ma jeune amie. J'ignore qui vous êtes, et ce que vous voulez. Mais la plaisanterie a assez duré. Vous...
- Vous irez au spatioport d'Europafrique dès aujourd'hui. Vous allez voir autre chose que les vertes collines de la Terre.»
     Le mot de passe !
     Les événements ne se déroulaient pas du tout comme il l'avait prévu. Il avait imaginé que ce sésame lui servirait à se faire reconnaître auprès d'intermédiaires, pas qu'on le promènerait de la sorte.
     Les jambes de Monsieur Clers flageolaient. Il dut s'asseoir.
«Au spatioport... aujourd'hui ! ? !
- En effet. Vous décollez ce soir à 21 h 30.
- Et... vers quelle destination ?
- Vous l'apprendrez juste avant d'embarquer.»
     C'en était trop pour Monsieur Clers.
«Il n'a jamais été question de cela ! Et le dwir, je peux aussi bien en faire ce que bon me semble !
- En ce cas, Monsieur Clers, préparez-vous à expliquer à la police que vous êtes la dernière personne à avoir parlé à votre charmante assistante.»
     La foudre serait tombée sur l'ordinateur que cela n'aurait pas produit plus d'effet sur Monsieur Clers. Comment avait-il pu, ne serait-ce qu'un instant, confondre cette voix glaciale avec celle d'Annie ? Il n'avait plus qu'une chose à faire s'il tenait vraiment à conserver quelques cartes en main : obtempérer.
«D'a… D'accord. J'irai au spatioport. D'accord.
- Parfait ! Bien entendu, vous serez dédommagé pour ce petit contretemps. Mais surtout, restez discret en ce qui concerne Annie. Vous trouverez un billet d'avion pour Tamanrasset dans le colis. Et... n'oubliez pas le dwir, Monsieur Clers.»


*



     Un courant-jet particulièrement fantasque contraignait souvent l'avion à perdre de l'altitude. Monsieur Clers en profitait pour regarder la Terre à travers les trouées des nuages. En fait de vertes collines, il pouvait contempler les villes et leurs banlieues, étendues brunâtres en forme de pieuvre dont les bras étaient reliés entre eux par une membrane argentée : des dizaines et des dizaines de kilomètres carrés de serres hydroponiques. Les pluies corrosives interdisaient désormais toute autre forme de culture.
     Monsieur Clers pouvait enfin commencer à réfléchir.
     Il avait en vain cherché Annie pendant une heure dans toute l'entreprise. Il n'avait même pas retrouvé son sac.
     Totalement convaincu de la détermination de ses interlocuteurs, il s'était décidé à convoquer d'urgence les chefs de service pour leur annoncer qu'un événement imprévu l'obligeait à s'absenter pour une huitaine de jours. La surprise les avait rendus totalement mutiques. Il avait rapidement distribué à chacun tâches et responsabilités, puis avait filé à Orly.
     Tant qu'il ferait ce qu'on attendait de lui, Annie ne serait pas en danger. Prévenir la police n'aurait sans doute fait qu'aggraver les choses.
     Les employés du C.H.A.T. s'apercevraient rapidement de son absence, mais comme elle avait disparu en même temps que son patron, ils allaient bien vite conclure à une escapade amoureuse. S'ensuivraient alors moult sous-entendus salaces sur leurs cent ans de différence d'âge. Rien que d'y penser, Monsieur Clers en était malade.
     Bien que célibataire, Annie n'habitait pas en appartement communautaire. Son salaire et les relations de son oncle Elli Jark lui permettaient de louer un logement d'une pièce, dans un immeuble où il était possible de passer toute sa vie sans jamais rencontrer ses voisins. Elle avait perdu ses parents dans la catastrophe du métro à hydrogène de 2203, et n'avait ni frère, ni soeur.
     Sa disparition pouvait parfaitement passer inaperçue pendant une semaine.
     Non, personne ne donnerait l'alerte, aucune enquête de police n'interromprait la bonne marche de ses projets. Naturellement, il offrirait une compensation à Annie pour le désagrément subi. Il avait de toute façon bien l'intention de faire monter les prix.
     Il avait tout de même la désagréable impression de n'être qu'un pion dans cette histoire. Mais qui étaient ces gens, qui faisaient disparaître une jeune femme en quelques dizaines de secondes, qui le manipulaient, lui payaient des transport en avion et en vaisseau spatial ? Il avait accepté la proposition de ce drôle de type qui s'était fait recevoir au C.H.A.T. en se prétendant représentant en logiciels de stockage de données. Il travaillait en réalité pour une entreprise d'importation de substances extraterrestres. Pour arrondir ses fins de mois, il avait imaginé une escroquerie sans risque, et fructueuse : un individu au-dessus de tout soupçon - en l'occurrence Monsieur Clers - réceptionnait discrètement le dwir par simple voie postale, puis le remettait à son véritable destinataire, en échange d'une somme confortable. Monsieur Clers avait imaginé qu'on lui fixerait rendez-vous dans un bar louche de banlieue. Une aventure excitante, en somme. Le type avait juste omis de préciser que la rencontre se déroulerait sur une base spatiale mal famée. Enfin, quand tout ceci serait terminé, il rentrerait chez lui et pourrait programmer une, voire deux cures de rajeunissement. Il ne l'aurait pas volé.
     L'A630 survolait la Méditerranée. Monsieur Clers avait suffisamment vécu pour savoir qu'à une autre époque, on l'appelait «la Grande Bleue». Désormais, son niveau baissait inexorablement et la caulerpa taxifolia qui en tapissait uniformément le fond l'avait transformée en bouillon de culture verdâtre. Monsieur Clers regardait la surface brasiller sous le soleil. En effet, la couverture de nuages se dissipait au dessus de ce que l'on osait encore appeler la Côte d'Azur, et ne se reformait pas avant les tropiques. Plus de nuages... Monsieur Clers éloigna précipitamment son visage du hublot. Il s'enfonça au plus profond de son siège, ses mains se crispèrent sur les accoudoirs tandis qu'un frisson glacé lui parcourait l'échine.


*



     L'Airbus s'était posé sur l'aéroport international de Tamanrasset, et Monsieur Clers errait dans le gigantesque hall, attendant le dernier moment pour monter dans la navette. Lorsqu'il se risqua enfin à l'air libre, la chaleur le fit suffoquer. Même en plein été, il n'avait jamais rien connu de tel à Issy-les-Moulineaux ! Et il lui fallait encore endurer la traversée du désert jusque Hammaguir.
     Monsieur Clers se sentit soudain très vieux.


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JCFragonE-Traym

Science-fiction

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