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Olivier

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Marionnettes humaines

Robert Heinlein


Marionnettes humaines
Titre original : The Puppet Masters
Première parution : 1951

 Pour la présente édition :

Editeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Date de parution : 2011
ISBN : 978-2-07-044126-6

La critique du livre
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Connaissons-nous les chefs-d’œuvre de la SF, et ceux de chaque auteur ? La preuve que non, avec le trop peu connu Marionnettes humaines de

Heinlein

. Il faut dire que ce roman date du début de la carrière de l’auteur, pendant qu’il publiait son Histoire du futur, avant que ses romans ne moissonnent les Hugo au fil de leurs parutions.

De quoi ça cause ?
L'invasion discrète et paranoïaque de la Terre par des ET évoque immanquablement L'invasion des profanateurs de Jack Finney et ses adaptations cinématographiques (et surtout LA meilleure, celle de Philip Kaufman, avec Leonard Nimoy aka Mr. Spoke, Jeff Goldblum et Donald Sutherland, excusez du peu). Et pourtant, l'un des premiers à avoir tenté la substitution discrète, quelques années avant Finney n'est autre que Robert

Heinlein

.
Nous sommes en 2007, la Russie et l'Amérique se sont affrontées militairement, laissant moult cratères ici et là. L'Amérique, loin d'avoir été rayée de la carte, reste une grande puissance et un État parfaitement fonctionnel, malgré quelques cratères atomiques symboliques à Washington et ailleurs.
Le héros du roman, dont nous saurons finalement peu de choses, est un agent secret d'une agence tellement secrète, qu'elle n'existe pas officiellement, et que son budget provient d'un ministère sans rapport avec une quelconque agence de renseignement. Elle ne rend de comptes qu’au Président, et échappe à tout autre contrôle.
Envoyé en mission, il se fait refaire tout le visage, jusqu'à la pilosité faciale et la couleur des cheveux. Ce détail, parmi tant d'autres (les armes notamment), reflète une SF délicieusement surannée aux miracles technologiques et aux gadgets improbables typique des années 50.
Notre agent est donc envoyé sur le terrain avec une charmante collègue -qui tient davantage de la pin-up que de Mata Hari- et Le Vieux, qui dirige l'agence depuis belle lurette. Forts d'une légende qui assure leur couverture, nos trois agents débarquent à Des Moines (prononcer Dé-moï-ne) dans l'Iowa.
Leur objectif ? Une soucoupe volante, pas moins.
L'engin aurait atterri au milieu de nulle-part, en pleine cambrousse. Un rapide coup d’œil de nos agents grimés en touristes leur montre qu'il s'agit d'une soucoupe faite maison, pour arnaquer le péquenot du coin. Fausse alerte donc.
Sauf que nos agents ne sont pas venus en vain à Des Moines, même si Thomas Disch l’a quittée depuis longtemps. Ils y découvrent une véritable invasion ET, sous la forme de grosses limaces, qui colonisent les épaules humaines, pour prendre le contrôle de leur hôte, et en faire un esclave. On y retrouve une critique de l’esclavage, récurrente chez

Heinlein

.
Le coup est assez bien joué, car les envahisseurs ont ciblé leurs victimes, en faisant main basse sur les élites et la police de la petite ville. Ce qui permet de leur assurer une certaine tranquillité, et de continuer leur invasion, en infectant toujours plus de monde, comme une tache d’huile.

Notre équipe de choc va aller de découvertes en découvertes, et se rendre compte que de nombreuses villes, petites et moyennes, sont concernées, aux quatre coins du territoire, américain bien sûr. Et même au-delà, car certains élus fédéraux sont eux-mêmes infectés… Nos trois agents, et leur accès direct au président, réussiront-ils à enrayer l’invasion ?

Un roman précoce et inaperçu ?
Publié en même temps que son Histoire du futur et avant son premier (roman primé du) Hugo, il s’inscrit clairement dans les débuts de

Heinlein

, et illustre à merveille son fameux Omit Needless Words (Oubliez les mots inutiles). L’écriture est en effet d’une efficacité redoutable, les péripéties et les rebondissements s’enchaînent à vive allure, et maintiennent le lecteur en haleine tout au long du roman, jusqu’au twist final. Malgré ses incontestables qualités, ce roman de 400 pages ne récoltera aucun prix, et sera par exemple ignoré par Barlow dans la fiche consacré à

Heinlein

. Toutefois, Anthony Boucher et Damon Knight ne tariront pas d’éloges sur ce roman, qui annonce la maturité de l’auteur, et ses grandes œuvres à venir. Initialement publié au Rayon fantastique en France en 1954, à peine 3 ans après sa parution en vo, le roman sera republié dans les décennies suivantes (72, 79, 84 et 95 chez PdF puis 2005 chez Folio SF ; il faudra attendre 2011 pour avoir enfin une traduction définitive, soit 50 ans après son édition originale en vo).

Maccarthisme et Guerre froide
Publié en 1951, le roman s’inscrit clairement dans son époque, et

Heinlein

ne mâche pas ses mots. Son agent secret a vécu de l’autre côté du Rideau de fer, et en garde un mauvais souvenir, ce qui inscrit

Heinlein

de plein pied dans son temps. Cependant, il ne faut pas voir dans ce roman une œuvre bas de plafond. Si

Heinlein

n’a pas d’illusion sur l’Est, il n’est pas un patriote béat non plus. Bien qu’élus démocratiquement, les parlementaires en prennent pour leur grade, comme le montre la scène au parlement (qui n'est sans doute pas tendre pour le Maccarthisme dans lequel Frank Herbert s'était vautré), et seul le président, de par sa proximité avec le Vieux et la confiance qu’il lui fait, s’en sort à peu près.

Heinlein

montre d’ailleurs un certain intérêt pour l’anarchisme. La méthode d’invasion souterraine et subreptice rappelle également la paranoïa de l’époque, et sa Peur rouge.
Sans aller jusqu’à le qualifier de roman engagé, je parlerai davantage de roman lucide ou désabusé, dont le regard est celui d’un homme de son temps, lucide sur celui-ci, qui essaie parfois de voir au-delà. D’une part, son personnage féminin va au-delà de la simple greluche, juste là pour mettre les hommes en valeur. S’il pouvait paraitre avancé pour les années 50, il reste daté par rapport à Ursula Le Guin, portée par la vague féministe des années 60. Toutefois, une femme indépendante et active, avec un poste à responsabilité, qui lui permettra de participer à une guerre interstellaire n’est pas négligeable pour l’époque. D’autre part,

Heinlein

, en bon naturiste, ne se prive pas de démonter le puritanisme us, et ses atteintes à la liberté individuelle. En effet, pour prouver que vous n’êtes pas infectés, il va falloir se promener torse nu, le soutif restant autorisée pour les femmes. Puis, face à la contre-offensive ET, qui visera le bas du corps, la nudité deviendra de rigueur. Ce qui est assez jubilatoire, et un brin comique.


Un futur réaliste ?
Si le remodelage du visage ou le pistolet qui enflamme sa cible sont un peu avant-gardistes pour 2007, il vise très juste avec les satellites d’observation, 6 ans avant le lancement de Spoutnik. Il en va de même pour les téléphones portables et l’exploration spatiale, même si nous n’avons pas (encore) posé le pied au-delà de la Lune ; et surtout pour les voyages au sein du système solaire, qui se révèlent encore, de nos jours, extrêmement longs, ou pour une vie sur Titan, qui n’était à l’époque qu’un satellite dont nous ne connaissions que l’atmosphère opaque.

Un (premier) roman de guerre ?
La guerre au sens d’affrontement armé entre États tient ici du décor et du passé. Nous ne sommes pas dans un roman d’affrontement militaire entre deux armées adverses, comme on le lira plus tard chez

Heinlein

. L’auteur emprunte ici les voix de l’espionnage, de ses coulisses feutrées et de ses coups tordus. L’envahisseur étant une limace qui prend le contrôle de son hôte, un affrontement militaire parait donc inenvisageable, même si le bombardement nucléaire des villes contaminées fait partie des possibles, nous y reviendrons. La guerre marque toutefois la société, puisque le président impose dans un premier temps l’opération Dos nu, obligeant tout le monde à ôter le haut (soutif toléré pour les dames), avant de passer à l’opération Bain de soleil, qui impose la nudité, pour vérifier que personne n'est infecté. En bon naturiste,

Heinlein

n’y voit pas de contrainte, mais au contraire une libération du puritanisme, qu’il critique vertement. Il montre aussi qu’il n’est pas un naïf, et que l’intérêt général et la sauvegarde de la liberté à long terme, peut justifier des mesures exceptionnelles en temps de guerre. L’affrontement impacte donc directement la société, et provoque des résistances, notamment religieuses ;

Heinlein

ne se prive d’ailleurs point de tacler la Bible belt, ce qui me le rend d’autant plus sympathique. L’affrontement donc, se fait dans les coulisses, car peu de gens sont au courant, notamment parce qu’il n’y a pas de guerre ouverte ; les effectifs du front sont peu nombreux.

Heinlein

ne cache pas non plus la violence d’une guerre bien réelle. Son agent se retrouve possédé par un envahisseur, ce qui nous offre un brusque changement de point de vue. La lutte contre les combattants infectés passe d’ailleurs par une violence assez débridée pour l’époque. On y retrouve d’ailleurs la philosophie fondamentale de

Heinlein

, y compris dans Starship troopers : la liberté se conquiert et se défend, quels qu’en soient le prix et la dureté des décisions à prendre. Toutefois,

Heinlein

n’a rien d’un Poutine qui veut envahir et annexer. Sa vision de la guerre est purement défensive, et il faut se défendre quel qu’en soit le prix. On y trouve déjà les idées qu’il défendra à la fin de la décennie, dans son essai Who Are the Heirs of Patrick Henry ? /Qui sont les héritiers de Patrick Henry ? Patrick Henry étant un révolutionnaire américain que

Heinlein

y cite in extenso, jusqu’à sa fameuse conclusion : « La vie est-elle si chère, ou la paix si douce, qu'on l'achète au prix des chaînes et de l'esclavage ? Interdit cela, ô Dieu Tout-Puissant ! Je ne sais pas quel parti les autres peuvent prendre, mais quant à moi, donnez-moi la liberté, ou donnez-moi la mort !! »
La liberté ou la mort, l’alternative peut sembler terrible, mais pour

Heinlein

, l’esclavage est pire que la mort. Il faut donc se battre et se sacrifier pour la liberté, car tel est le prix à payer. Lucide ou pessimiste, chacun jugera, notamment à la lumière de l’héroïsme ukrainien. Sa vision rappelle un auteur dont tout ou presque l’éloigne : George Orwell. Dès avant la Seconde guerre mondiale, il s’est révélé un faucon, opposé tant au pacifistes sincères de l’anarchisme, qu’aux staliniens qui défendaient le pacte Staline-Hitler en critiquant le bellicisme britannique (mensonges actuellement repris par de pseudo-historiens authentiquement trumpistes). Orwell défendait la nécessité tragique de la guerre en cours, car le Royaume-Uni ne pouvait être libre tant que Hitler était en vie et au pouvoir. S’il restait farouchement anticolonialiste, et antistalinien suite au retournement d’alliance, il considérait que l’on ne pouvait être libres et désarmés tant que nous aurons des adversaires qui souhaitent notre perte.

Pour conclure

Heinlein

fait montre d’une maîtrise littéraire impressionnante sur ces 400 pages, que l’on ne voit pas passer. Si l’intrigue est linéaire, il sait alterner les points de vue, notamment quand son héros est possédé. Il sait faire exister les trois personnages principaux, en fait un premier rôle et deux rôles secondaires. Ceux-ci n’étant d’ailleurs pas en reste dans les nombreux rebondissements de son intrigue, menée de main de maître.
Vue la qualité du roman, pour un auteur relativement précoce (Dick a écrit bien plus de romans avant d’en arriver à une œuvre de qualité pleinement maîtrisée, pour moi Le temps désarticulé), je ne puis que souscrire aux éloges de Damon Knight et d’Anthony Boucher. Bien plus convaincant que son cycle futuriste ou ses essais précédents, ce roman signe la pleine maturité d’un auteur souvent méjugé en France (voir à ce sujet le remarquable et nuancé Solutions non satisfaisantes d’Ugo Bellagamba et Eric Picholle, desservi par sa couverture immonde).

Heinlein

s’affirme ici comme un auteur de premier plan, digne de figurer dans toute bonne bibliothèque. S’il a pu ensuite avoir des engagements contestables notamment aux côtés de Barry Goldwater
, il n’est pas le seul dans ce cas, loin de là. Plus encore, face à la dérive autoritaire et obscurantiste du trumpisme, sa voix libre nous met en garde contre la tyrannie, sans en ignorer le prix à payer.
Non primé et non chroniqué sur CSF ce roman est sans aucun doute le plus ignoré ou le plus méconnu de

Heinlein

, et ce grand roman de SF, permet à l’auteur de signer son premier chef-d’œuvre. J’espère qu’en plus de rattraper ces oublis, cette chronique vous donnera envie de le lire. Car ce roman en vaut vraiment la peine !
Maintenant qu'il est intégralement traduit (la couverture, l'ISBN ,les traducteurs et la date de parution française correspondent à la traduction intégrale), vous n'avez plus d'excuse. Alors, foncez !

« Très tôt dans ma vie, quand j'ai lu Robert

Heinlein

, j'ai saisi le fil conducteur de ses histoires – la notion de l'homme compétent... J'ai toujours considéré cela comme mon idéal. J'ai essayé d'être un homme très compétent. » Harlan Ellison.




L'invasion a commencé en 2007 — sans que personne ne le sache.
Les extraterrestres ont atterri en divers points stratégiques de l'Amérique du Nord, puis ils ont pris la tête des services de communication, du gouvernement, de l'industrie. Personne n'a été capable d'endiguer cette invasion. Car les extraterrestres ont le pouvoir de contrôler les esprits. Seul Sam Cavanaugh, agent surentraîné œuvrant pour un des services secrets les plus puissants des États-Unis, peut encore stopper les envahisseurs. À condition d'accepter d'en payer le prix...

Un thriller de science-fiction haletant, souvent comparé à L'invasion des profanateurs de Jack Finney. Un classique du genre, adapté au cinéma en 1995 sous le titre Les maîtres du monde, et publié ici pour la première fois en France dans sa version intégrale.

Robert A. Heinlein (1907-1988) est une des figures essentielles de la science-fiction américaine, aux côtés d'Asimov et de Bradbury. Son Histoire du futur, ensemble de romans et de nouvelles décrivant l'évolution de l'humanité dans les siècles à venir, figure parmi les plus grandes fresques du genre avec Fondation ou Les Seigneurs de l'Instrumentalité de Cordwainer Smith.


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