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Le monde ne m'intéresse plus. Il tourne sans moi et me laisse sur place, en rade, à marée basse. Mon déambulateur est couché sur sa quille. Je suis tombé sur le palier, à deux doigts de l'ascenseur. Oubliez-moi..! Le monde, la vie et moi, désormais, comme salopette et tee-shirt à un boa. J'ai plus l'age de rien, sinon celui de faire un beau cadavre. A 20 ans la vie s'ouvre sur cinq continents. A 80 elle se referme sur une résidence pour vieux, pompe-à-fric et pue-l'urine.
Coulent les jours..!
Carnet du Jour, avis de décès. Se compter; à qui tiendra le dernier. Blouse-Jaune-Gros-Nichons me les lit depuis que je fais semblant d'avoir perdu mes bésicles.. Belote et re-belote, dix de der, la mort attend avec un cent d'atout sur le tranchant de sa faux.
Mes forces déclinent.
Petits pas qui trottent, la Faux vise les mollets.La mémoire bat la campagne, tondeuse à neurones, rabot à dentrites. Fil à la patte peu à peu rembobiné, mon périmètre de survie de plus en plus étriqué me rapproche du lit. Car hors de ma chambre commence la menace. Trébucher sur un grain de poussière, m'envoler sur un courant d'air. Les couloirs deviennent des rames de métro. S'y engouffrent les infirmières-locomotives. S'accrocher à la rampe pour ne pas être emporter par le souffle sur leurs passages. Plus rien ne compte que le dentier-glaçon dans le verre d'eau, les comprimés du lendemain dans le pilulier. Les compter, les recompter, ne pas se tromper. Compte à rebours. Et espérer monter sur le lit pour ne plus en descendre. La nuit tricote les souvenirs heureux des jours enfuis. Ceux que je voudrais emporter avant que la Gomme ne les efface.
Baissent les bras et l'élan vital..!
La vie des autres s'agite loin de l'épave qu'est devenue mon lit. Il tangue sur la moquette de ma chambre. Je suis seul sur mon radeau de la Méduse monté sur roulettes. La maison de retraite est mon Titanic personnel. La sonnette pendue à la potence ne m'attire même plus. D'ailleurs comment l'atteindre. Mes bras maigres et blancs comme des flèches de grues, ankylosées et rouillées, inertes et affaissées. L'alarme constituait il y a peu un message en bouteille quand mon corps réclamait la morphine . Son cri voguait sur les courants d'air le long des couloirs, filrtait avec les stéthoscopes pendus autour des cous, zigzaguait en longs serpentins sonores dans l'infirmerie. .
Le personnel attend la fin d'un monde, le mien..
Maintenant la moussaille m'isole de la houle du matelas à eau, colmate ma coque de couche-culottes, bouche les écoutilles de péniflow. L'alèse n'est pas goudronnée, je vais me noyer. Mon lit est devenu un trois mats d'arbres à perfusions... Perdu sur les vagues blanches des draps, l'écueil du téléphone sur la table de nuit me parait inaccessible. Loin, très loin, trop loin. A des années-lumières de la griffe de mes doigts arthritiques et tremblants d'un parkinson souverain. Ses grelottements comme les appels sourds d'une corne de brume d'un navire en péril. Alors que c'est moi qui suit en train de crever, vieille allumette charbonneuse, zigzaguante et décharnée sur l'océan blanc de la literie.
La voute céleste s'inonde brutalement de lumière blanche et crue. Soleil en ampoule de verre. Filament firmament incandescent qui méblouit et vrille ma rétine. De secs sarments de bois jetés sur les braseros de mes rétines. Des gerbes d'étincelles rejoignent les étoiles. La chambre se remplit de lambeaux de brûme qui sentent l'éther. S'y dessinent en lentes écharpes des blancs fantômes indistincts, apparaissant, disparaissant. Ils se penchent sur le billot de bois flotté que je suis devenu, torchent la saignée de mes bras de boules de coton humide, avant que les becs acérés de goélands ne farfouillent dans mes veines. Poseidon me torche le cul et me lave la bite. La houle du matelas me berce, j'enttends le flux et le reflux de la pompe électrique, les cris aigus des mouettes curieusement bipèdes et en blouse blanche.
Souques, moussaillon, souques ferme. La vie, la tienne, ce qu'il en reste, t'attend sur la grève, au-delà du bord de ton lit, sur la plage de carrelage froid libérée par la marée descendante. Les charentaises sur le rivage comme des bateaux bretons couchés sur la quille. Varechs blancs en moutons de poussière poussés par des Gulf Stream de courants d'air.
Au rythme des flashs lumineux qui inondent la voute céleste, mon corps, tour à tour: papillon de jour, papillon de nuit épinglé sur la surface de l'eau. La Faux transperce le liège. Mes bras, ailes décharnées sur lesquelles courrent les fines nervures de mon réseau veineux, battent entravés aux menottes qui les retiennent. Des hématomes violacés s'étendent autour des points de ponction, aux plis des coudes et des aines. Ils décorent mes ailes de couleurs à la Mort offerte.
Je voudrai que mon esprit se porte à la pointe de la potence, qu'il devienne vigie, découvre l'espace dégagé du Styx au-delà des murs blancs, cherche et trouve la silhouette sombre du Passeur. Une piecette et qu'un Monde finisse, qu'un autre commence.
De la Science-Fiction: que non point. De l'anticipation, à coup sur..!
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