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Olivier

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02/09/2004
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Voici l'homme

Michaël Moorcock


Voici l'homme
Titre original : Behold the Man
Première parution : 1969

 Pour la présente édition :

Editeur : L'Atalante
Collection : La dentelle du Cygne
Date de parution : 2001
ISBN : 2-84172-169-8

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (6 réponses)

Magistral. Voilà le premier qui vient en tête quand on referme ce court roman de

Moorcock

. Non content d’être court, c’est aussi l’un des rares one shot de ce forçat de la série.

L’histoire est on ne peut plus simple. Karl Glogauer est un sujet britannique, dont les parents ont fuit l’anschluss quand il était enfant. Le roman alterne les épisodes de son enfance anglaise, et de l’âge adulte. Mais le roman ne se limite à de simples flash-back entre ces deux époques. Il y a aussi des flash-back entre les millénaires. En effet, Karl a voyagé dans le temps, et se retrouve en Palestine à l’époque de Tibère. Bien que non-croyant, il espère néanmoins y assister à la crucifixion de Jésus.

Une histoire et trois époques
Il n’y a pas de linéarité dans le roman de

Moorcock

, qui apparait plutôt comme une suite de fragments ou de vignettes. Il n’y a pas non plus de hiérarchisation des faits. Certains moments cruciaux sont parfois traités de façon elliptique (la fuite dans le désert) tandis que d’autres sont d’avantage développés (Karl comme souffre-douleur). Cela tient à la construction du roman : avant d’être une histoire (celle d’un voyage dans le temps et d’une uchronie), c’est surtout l’histoire d’un homme. C’est même l’un des aspects les plus frappants du roman, ou plutôt du bildungsroman. L’aspect science-fictif est bel et bien là mais, New wave aidant, c’est d’avantage la fiction que la science qui importe. La partie strictement scientifique du voyage dans le temps est réduite au plus strict minimum : ce dont se souvient Karl, qui n’a aucune formation scientifique.
Autant prévenir tout de suite les amateurs de hard-sf : ce livre n’est vraiment pas pour vous ! D’autant que la science la plus prégnante du livre est la psychanalyse, tendance Jung. C’est peu dire que nous sommes aux antipodes de la physique et de la science dure. La métaphysique par contre, en particulier les doutes mystiques de Karl Glogauer sont très présents, et constituent un élément moteur du roman.

Trois époques et un homme
La personnalité de Karl Glogauer est la véritable clé de voute du roman. Un personnage qui peut agacer, notamment par sa passivité. Il subit les évènements, de son initiation sexuelle par un prêtre à la fin, magistrale, du roman. Comme chez Silverberg, on retrouve un individu confronté à son destin, mais nous sommes plus dans L'oreille interne que dans Les vents du changement. Le destin est finalement beaucoup trop grand pour la personne sur qui il est tombé. Et c'est ce pauvre hère qui n'a jamais rien demandé à personne, qui va devoir s'en dépatouiller. C’est donc à un personnage résigné que nous avons affaire, une personnalité effacée mais profonde, autrefois écrasé par une mère tyrannique. Un personnage qui pourrait agacer, s’il n’était le talent de

Moorcock

. Le génial barbu sait mieux que personne mener son intrigue et agencer les évènements pour y faire évoluer son personnage. Glogauer est donc masochiste et passif, il subit les évènements et s'y résigne, mais il n’est surtout pas un personnage creux, simple prétexte à des rebondissements par treize à la douzaine. Il est le jeu d’une intrigue qui le dépasse, un peu comme un personnage d’Eschyle, à ceci près qu’il n’y a pas de dieux.

Dieu, justement : attention SPOILERS
Karl arrive chez les esséniens. Il est surpris de ne pas trouver de chrétiens, ni de personnes ayant –forcément- entendu parler d’un prophète aux multiples miracles. Des miracles qu’il est toutefois difficile de situer : la chronologie est incertaine, et on ne peut pas parler de x années après Jésus-Christ. Il faut essayer de déduire la date d’après de maigres indices, peu nombreux dans cette province périphérique de l’Empire.
Toutefois, Glogauer rencontre Jean le baptiste (immortalisé à plusieurs reprises par le génial Caravage), mais aucun apôtre, et encore moins un évangéliste, même apocryphe. Et ce pour une raison simple : si Joseph et Marie existent bel et bien, ils n’ont rien à voir avec l’image canonique. Marie est une gourgandine qui s’offre au premier venu, et qui s’est mariée enceinte à ce bien brave Joseph. La tentative de Marie de coucher avec Karl est à cet égard révélatrice. Loin d’être blasphématoire, elle illustre à merveille les caractères très différents des deux personnages, et renforce encore cette tension qui éclatera à la fin du roman, aussi inéluctable que la fin d'une tragédie.

Moorcock

en profite même pour faire un petit clin d’œil au fameux complexe d’Œdipe, via l’homosexualité de Glogauer.

Blasphème ? attention SPOILERS
Une personne à l’esprit étroit pourrait considérer que l’œuvre est blasphématoire. Mais cela ne s’applique qu’à la religion, et nous sommes ici dans la littérature. Autrement dit dans la fiction pure : la seule chose en laquelle nous pouvons ici croire est l’art, et le talent de l'auteur.
Si l’on s’en tient à cette lecture, l’œuvre de

Moorcock

n’a rien de blasphématoire.
Elle est au contraire un témoignage plus que brillant, génial pourrait-on dire, de ce que peut être l’art, et surtout la sf.
Car le vrai sujet science-fictif de ce roman n’est pas tant le voyage dans le temps que l’uchronie. Jésus n’est qu’un enfant attardé, dont la principale occupation reste les rapines. Nous sommes donc bien loin du messie et de ses apôtres.
Et c’est justement là qu’est tout l’art de

Moorcock

, qui ne s’occupe pas de sciences dures mais de sciences humaines. C’est donc à Karl Glogauer que va incomber le devoir de reconstituer l’histoire telle que nous la connaissons. En fait de miracles, il va surtout s’appuyer sur ses connaissances scientifiques, notamment en médecine, qui vont désacraliser les miracles. Toutefois, afin de respecter les croyances, il se gardera bien de révéler ses secrets. « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » disait Arthur Clarke : ici, la magie tient du miracle.
L’un des plus beaux passages, à mes yeux, de ce fardeau dont s’affuble Karl, est de choisir ses disciples en fonction de leurs prénoms, et surtout sa relation à ce pauvre Judas. Sa reconstitution de la réalité telle que nous la connaissons, des siècles après Constantin, n'est pas sans rappeler Dick. Nous remontons à la source même, non de la réalité, mais de son trucage.

Des sciences oui, mais humaines

Moorcock

, malgré son érudition rigoureuse mais jamais pédante, botte donc en touche la théologie. Son approche est anthropologique : il cherche à comprendre comment s'est constitué non une vérité mais une croyance, sédimentée par les canons de la théologie. Une société se construit sur des mythes, le plus ancien étant la religion, le plus récent la nation. Il est difficile ici de ne pas penser ici doublement à Renan, tant pour l'histoire profane du christianisme que pour la nation.
En ce sens,

Moorcock

se rapproche de Samuel Delany qui, dans Babel 17, articulait à merveille science humaine (la linguistique) et la fiction, via ce space-opera si décrié par Wilson Tucker. Delany apportait une profondeur peu courante à un genre particulièrement propice à l'évasion pure.

Moorcock

fait un peu de même, en articulant l’anthropologie et le voyage dans le temps, ainsi que sa principale répercussion : le paradoxe temporel. Il ne joue pas en virtuose des contradictions et des paradoxes que peut seule la sf peut offrir, notamment avec Barjavel. Comme Delany,

Moorcock

fait du neuf avec du vieux, en y injectant des sciences humaines.

Moorcock

va même peut-être plus loin que Delany, puisqu'il ajoute en sus une dimension philosophique à son propos. Son approche du mythe religieux rappelle Feuerbach. Comme le philosophe,

Moorcock

considère que toute religion est une création humaine, et que l'homme ne donne à dieu que les attributs dont il se dépouille lui-même. Ce que Feuerbach résume en un aphorisme : « L'homme est appauvri de ce dont Dieu est enrichi ». C'est donc par l'ultime sacrifice que Glogauer crée finalement la religion chrétienne telle que nous la connaissons.

Réunir autant d'idées, une telle profondeur historique, philosophique, psychologique, en si peu de pages ne font pas de ce roman un simple incontournable, mais un chef d'œuvre. Pour une fois qu’une nouvelle, fort justement récompensée du Nebula, ne se délite pas dans un roman mais y trouve sa longueur parfaite tient sans doute du miracle.




l s'appelait Karl Glogauer.
Il avait remonté le temps, du milieu du XXe siècle jusqu'en l'an 28, pour chercher le Christ et assister à sa crucifixion. Maintenant qu'il se trouvait sur la Terre promise, il venait de rencontrer Jean-Baptiste, le prophète, et déjà il lui parlait de celui qu'il désirait voir et dont l'image le hantait depuis toujours bien qu'il fut incroyant.
Mais Jean le Baptiste le regardait, un rien stupéfait.
Comme si l'on avait à l'instant prononcé le nom de Jésus de Nazareth pour la première fois devant lui...

Avec Voici l'homme, publié pour la première fois en 1968, le grand romancier britannique, créateur de Jerry Cornelius, de Gloriana, d'Elric le Nécromancien et de la lignée von Bek, a écrit une fable philosophique percutante, certainement un de ses chefs-d'œuvre.


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