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lacroute

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Le navire des glaces

Michaël Moorcock


Le navire des glaces
Titre original : The ice schooner
Première parution : 01 janvier 1969

 Pour la présente édition :

Editeur : Le Livre de Poche
Collection : SF
Date de parution : 1er trimestre 1972

Ce livre est noté   (4/5 pour 1 évaluations)


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La critique du livre
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Je vous le dis : se plonger dans « Le navire des glaces » (il y fait froid, très froid) vous sera un bon plan fraicheur quand cet été en amorce sera un sauna brûlant et étouffant. Les pages défileront comme autant de glaçons dans le Pastis de midi. Un bienfaisant effet kiss-cool littéraire rafraichira l’atmosphère sous le parasol à l’abri de la canicule. Le récit est relativement court, mineur (parait t'il ?), néanmoins à mon sens presque culte au rang des productions mésestimées, divertissant et fertile en péripéties. Juste le temps d’un bref apéro avant le barbecue de lectures plus conséquentes (vous aurez envie, pour le coup, de vous frotter au « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury).

Paru en VO en 1969, puis en VF deux ans plus tard dans la mythique collection SF du CLA (Club du Livre d’Anticipation), « Le navire des glaces » est un roman en one-shot, hélas peu réédité à mon goût (Livre de Poche SF 1978, Presses Pocket SF 1988 & 1991, Omnibus « Catastrophes » en 2005 sous la bienveillance de Michel Demuth).

C’est un post-apo nucléaire à variante glaciaire.

Moorcock

y dessine l’anticipation à long terme d’un monde, le nôtre, à quelques siècles de là. C’est ici et pas encore pour maintenant (l’amorce du récit linéaire prend racine dans deux millénaires environ) le Planet-opera d’une Humanité conditionnée autour d’un processus historique régressif.

Depuis ce qui lui semble être à tort l’aube des temps, notre planète, pour la rare humanité qui la compose, est cadenassée par un froid ambiant extrême (d’un bout à l’autre de l’année et d'une année sur l'autre, de siècle en siècle) ; des glaces éternelles recouvrent mers, océans et continents ; la banquise est omniprésente et devient le composant principal du postulat

moorcock

ien
. On raconte, du bout des légendes, qu’une guerre mystérieuse fut à l’origine des conditions climatiques actuelles. Le froid règne en maitre, l’homme plie mais ne rompt pas, sa simple survie est en jeu. A la veille de révélations sur son origine, la Terre subit un redoux inattendu et honni (La seule pensée hérétique qu’en dehors du froid il y aurait salut est blasphématoire). Ce qui lentement émerge du froid laisse entrevoir un passé en décors truqués, construit sur des mensonges et/ou des arrangements mystiques avec la réalité, un présent bâti sur des chimères et un futur enfin retrouvé (l’espoir, enfin, de temps nouveaux).

En Sf, rien que du très classique en somme ; le genre qui nous occupe a connu de bien similaires secousses romanesques qui, des ténèbres, laissent remonter l’Homme vers la Révélation de ce qui fut. Quand les conséquences s’éclairent à la lumière des causes, quand le monde bousculé sur ses bases renait du Cataclysme Premier ... L'éternel leitmotiv d'une certaine SF post apocalyptique qui connut son heure de gloire ..!

De grands voiliers des glaces montés sur de gigantesques patins sont les atouts charme du roman. Le lecteur les trouvera dans les abris portuaires des cités-crevasses ou sillonnant le monde gelé depuis les Huit-Cités du haut plateau du Mato Grosso (ex-Brésil); ce sont des brigantins, des bricks et des schooners ; les coques sont en fibre de verre (que l’on ne sait plus fabriquer), les mâtures en bois antique (on prétend que jadis la Terre était couverte de forêts), les voilures de nylon rare (il n’existe plus qu’en stocks que l’on ne peut pas renouveler) ; les capitaines chassent la baleine terrestre (à la baleinière, au harpon ; carnage et dépeçages systématiques jusqu’à l’os de rigueur) ; « L’Esprit des Glaces » de Konrad Arflane est à la recherche de la mythique New-York, mère de toutes les glaces, source potentielle des réponses aux questions que tous se posent. Fruits amnésiques de nombreuses générations successives, les rares survivants de la Terre d’Avant, se replient sur un quotidien organisé comme le fut celui du vieux monde maritime d’antan, entre passé effacé, nouvelles traditions et croyances induites. L’homme, dans sa frange scientifique et aristocratique (bien entendu un brin hautaine et condescendante) est en quête initiatique d’échos lointains de ses jours d’Avant lentement éteints, oubliés, voire soigneusement tus, biffés des mémoires. Une nouvelle mythologie (presque un dogme) s’est installée peu à peu : celle de la Glace-Mère, avec ses dieux tutélaires bienveillants et ses démons bannis et honnis (le Tiède, le Chaud, la Lumière). Les marins, des baleiniers pour la plupart, sont des êtres primitifs, bruts et mal dégrossis, basanés, barbus, au cuir calleux et bardé de cicatrices ou de tatouages, vêtus de peaux de phoque ou d’ours, aux regards barrés d’une visière presque opaque, montée sur un cadre d’os, pour se protéger de la réverbération des glaces ; on les a déjà croisés à Nantucket ou aux côtés d’Achab sur le pont du Pecquod dans le Moby Dick de Melville.

Le monde imaginé par

Moorcock

prend tournure de Planet Opera inspiré, astucieux, bien pensé, correctement articulé dans sa progression thématique, réfléchi, riche en détails essentiels et suffisants à un bref one-shot équilibré ... Il est relativement crédible même si, dans notre réalité de 2021, la menace planétaire vient davantage d’un réchauffement climatique que de son pendant inverse. Ici, bien au contraire, le curseur du postulat science fictif se déplace de la canicule vers le froid, version super-freeze d’un monde devenu congélateur. Le vert est off, place au blanc glaciaire. Fi de l’actualité écologique de 2021, c’est le postulat de

Moorcock

qui intéresse ici, à une époque d’écriture où, à l’orée des 70’s, on était plus proche d’Hiroshima et de Dr Bloodmoney (P.K. Dick) que d’Aqua TM de Ligny. Les cauchemars réservés à la Terre ont, depuis, quelque peu changés de nature, même si Fukushima, il y a peu, s’est chargé de nous prévenir que c’est dans les vieux pots que se mijotent les pires désastres.

Voilà pour le fond, il est classique ; on sait que l’Atome surchauffé a du répondant en SF et un long passé romanesque derrière lui, que notre genre chéri lui a beaucoup donné (jusqu’à la nausée, peut-être ?), que le postulat de l’hiver nucléaire est thème-bateau et parfois peau de banane, que maints auteurs y ont trempé leurs plus belles plumes. Qu’allait en faire

Moorcock

du haut de la rupture instaurée par New Worlds, sur le fil quelques fois trop aventureux de ses expérimentations de forme ... ? J’attendais un chamboulement du fond par une forme narrative avant-gardiste pour l’époque, une prise de risques tous azimuts ? J’y croyais et avais confiance (l’auteur m’est chouchou via son rôle de déclencheur de la New Wave). Paradoxalement, la voie choisie est celle d’un classicisme romantique, d’une prose lyrique et travaillée, dans un récit strictement linéaire et aisé d’accès, dans la droite filiation du roman, maintes fois croisé, d’aventures maritimes. Quelques fois, la forme, à elle seule, crée le fond, c’est le cas ici et c’est très bien comme çà. Les personnages sont chatouillés à la presque perfection dans leurs psychologies respectives (Konrad Arflane, le héros principal, est brassé, fouillé jusqu’à l’os, enserré comme dans un étau entre les dilemmes qui l’entourent) ; les descriptions s’accrochent poétiquement au background visuel glaciaire ; le roman prend son temps et se fait bavard, gravite en orbite très lente autour de son postulat de départ (certains diront même trop lente ; est-ce le défaut de

Moorcock

?). L’auteur se fait charmeur 320 pages durant, offre un fort agréable moment de détente au détriment, peut-être, d’une mise en garde des risques induits par l’Atome. Qui pour oublier, lecture bouclée, le rêve éveillé de ses superbes voiliers qui, souvent, m’ont remis en mémoire une citation issue des "Chroniques martiennes » de Bradbury : « "Dans des bateaux bleus et légers, se dressaient des formes violettes, des hommes masqués, des hommes aux visages d'argent, avec des yeux d'étoiles bleues, des oreilles d'or sculpté, des joues d'étain et des lèvres serties de rubis, des hommes aux bras croisés, des martiens.". La prose de Bradbury est bien trop belle pour être celle de

Moorcock

, mais le même esprit règne, celui propice au rêve éveillé. J’ai retrouvé au fil du « Navire des Glaces » mon âme d’adolescent, les routes maritimes tracées sur les lourds parchemins roulés sur eux-mêmes, les vents dominants claquant dans les voiles, les nids-de-pie au bout du bout des mats, les ordres criés au porte-voix, les tempêtes secouant les coques de noix … et toute cette quincaillerie magique des romans de mer dont je me gavais jadis.

Il y a ressemblance de thème et d’école (l’auteur est issu de la New Wave) avec Helliconia d’Aldiss (on connait mon empathie féroce à l’égard d’une œuvre à mon sens bien trop négligée). «Le navire des glaces » se clos à New-York comme le fit Niourk de Stefan Wul, la mise en abime de

Moorcock

est prévisible, anecdotique et pour tout dire un tantinet négligée (après tout, quelle importance quand l’essentiel a été dit avant ?). On retrouve un cousinage très voisin avec les 62 tomes de la « Cie des Glaces » de G.J. Arnaud : la Terre de glaces revêtue, la banquise omniprésente, le rail à perte de vue, les stations-dômes climatisées, les baleines-solinas qui comme des dirigeables sillonnent le ciel ; on y trouve même sur le tard du cycle des goélettes sur patins toutes voilures dehors …

N’hésitez pas. Ce roman vaut le détour. Il n’est pas parmi les plus connus de l’auteur (« Voici l’homme » et « Elric ») mais il possède un charme énorme qui saura vous conquérir.



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