Waldrop
n’ont pas fait l’objet de beaucoup de publications en France : un recueil en Présence du futur de 1990, quelques nouvelles éparpillées dans les anthologies Univers de Jacques Sadoul ou de Georges R.R Martin entre autres. La plus célèbre « Les vilains poulets » (The ugly chikens) côtoie dans Univers 1982 « La grotte du cerf qui danse » de Clifford Simak que Pierre Paul Durastanti avait remis en lumière dans le recueil Voisins d’ailleurs. Deux histoires de créatures surgies du Passé, décimées ou supplantées par l’Homo sapiens. Et deux sacrés récits.Intéressons-nous au premier. Il met en scène un ornithologue du nom de Paul Lindberl. Dans le bus qui l’emmène à l’université du Texas une vieille dame affirme avoir vue dans sa jeunesse une des bestioles illustrant son ouvrage sur les espèces disparues. Il s’agit d’un dodo, oiseau mythique des iles Mascareignes. C’est le point de départ d’une traque qui mènera Lindberl au nord du Mississipi et, ironie du sort, aboutira à l’ile Maurice. Plus que l’humour noir de ce petit chef d’œuvre, le travail documentaire préparatoire impressionne. On apprend que des dodos fréquentèrent les cours européennes au XVIIIe siècle ce qui n’eut pas pour effet, hélas, d’infléchir leur destin d’hécatombe.
Le recueil Mes chers vieux monstres publié en 1990 en Présence du futur contient dix textes :
- L'Horreur, nous avons ça (Horror, we got, 1979)
- Le Gorille secret du Dr Hudson (Dr. Hudson's secret gorilla, 1977)
- Gentian, l'Homme-Montagne (Man-Mountain Gentian, 1983)
- Ainsi va le monde... (The world as we know't, 1982)
- Ces chers vieux monstres (All about strange monsters of the recent past, 1980)
- Flying saucer rock and roll (Flying saucer rock and roll, 1985)
- Lui-Que-Nous-Attendons (He-we-await, 1987)
- Mary Margaret la Niveleuse (Mary Margaret road-grader, 1975)
- Légataires de la Terre (Heirs of the perisphere, 1985)
- Ce soir dorment les lions (The lions are asleep this night, 1986)
La moitié vaut le détour. « L’Horreur, nous avons ça » raconte l’effort radical entrepris par une diaspora juive munie d’une machine temporelle pour s’attaquer à l’antisémitisme. Comment ? En donnant vie et corps aux vieux démons, par exemple aux insanités décrites dans Les Protocoles des Sages de Sion et en partant à la conquête du monde.
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raconte avoir effectué une lecture publique de cette nouvelle en s’attendant à chaque instant à voir voltiger des pavés. Quant à moi, après en avoir vérifié la date de publication, je me suis précipité sur le contenu prévisionnel de The last dangerous visions, mais « L’Horreur, nous avons ça » n’y figure pas. C’était pourtant la vision dangereuse par excellence.Dans « Ainsi va le monde… » une équipe de chimistes ou d’alchimistes n’ayant pas eu vent des travaux d’Antoine Lavoisier sur la combustion, tente d’isoler le phlogistique – « un fluide particulier, qu'on supposait inhérent à tout corps et qui était censé produire la combustion en abandonnant ce corps”. Résultat, la fin du monde, et un bon récit ayant nécessité des semaines de préparation.
Le jeune Leroy vit à New-York à la marge, réfugié le plus souvent chez son frère. Il a deux passions, la musique, qu’il pratique au sein d’un groupe vocal « Les Kool-Tones », et les soucoupes volantes. On est en 1966 et les Beatles, Rolling Stones et Animal ne pèsent pas lourd à ses yeux face à la Motown. Un jour son groupe désireux de s’isoler pour répéter, s’aventure sur le territoire des « Bombers » une bande qui elle a réussi à publier un disque. L’affrontement inévitable se transforme en une nuit de joute musicale cependant que les soucoupes volantes débarquent. Le lecteur du réjouissant « Flying saucer rock and roll », inspiré d’une chanson de Billy Lee Riley & The Little Green Men a aujourd’hui grâce à Internet, la possibilité de ressusciter « The Contours », « Frankie Lymon et les Teenagers » et autres « Drifter » « Crows » ou « Token », tous mentionnés dans le texte.
1500 ans après un ou des évènements que l’on suppose apocalyptiques, une usine de fabrication de robots pour les parcs d’attraction Disney se remet à fonctionner temporairement le temps de sortir trois exemplaires. Sans doute méfiant sur la question des droits (voir la préface de « Flying saucer rock and roll »),
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ne les nomme pas, mais on reconnait tout de suite les figures de Dingo, Mickey et Donald. Dotés d’une IA rudimentaire, ils rentrent en contact avec un satellite qui les dirigent vers un cylindre de survie à 18 000 km de là. Le sympathique « Légataires de la Terre » évoque l’anime Wall-E et « Leçon d'histoire » une nouvelle d’Arthur C. Clarke.« Ce soir dorment les lions » est peut-être la plus forte fiction du recueil. Son héros, un enfant encore, pratique l’école buissonnière, effectuant régulièrement un détour par le marché d’Onitsha, une ville portuaire du Niger. Il s’y tient une foire aux livres (Onithsa Market Literature) et Robert Oinenke saute de temps à autre un repas à la cantine pour s’en offrir quelques-uns. Pire il utilise un des cahiers achetés par sa mère pour rédiger une pièce de théâtre en cachette. Grand lecteur de romans anglosaxons, de théâtre élisabéthain, de réflexions sur les puissances colonisatrices, son cerveau absorbe tout comme éponge. La force de la narration ne vient pas d’une diatribe anticoloniale mais d’un renversement de l’Histoire. Car Robert puise dans la littérature occidentale les matériaux nécessaires, aux service, de la conception de sa pièce inspirée d’une légende africaine.
Pour le reste « Le Gorille secret du Dr Hudson » est un texte très basique de transplantation de cerveau d’un homme dans celui d’un gorille, « Gentian, l'Homme-Montagne » évoque l’univers des sumotoris. « Ces chers vieux monstres » ressemble à un mauvais tournage d’envahissement de bestioles géantes, « Lui-Que-Nous-Attendons » pourtant fruit d’une longue préparation évoque un de ces innombrables films sur l’Egypte comme La momie, et « Mary Margaret la Niveleuse » ressemble à un Mad Max où s’affronteraient des engins de chantier, et là on est loin du compte du Killdoser de Théodore Sturgeon.