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Olivier

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Le Barde du futur

Poul Anderson

,

Marc Duveau


Le Barde du futur
 Pour la présente édition :

Editeur : Pocket

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (2 réponses)

« Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » disait Pascal.
Nous pourrions parfaitement remplacer les montagnes par l’océan Atlantique, pour parler de la réception des auteurs us en France et chez eux.

Si certains ont eu du succès des deux côtés de l’Atlantique, comme Cartland et Asimov (« Asimov c’est la Barbara Cartland de la science-fiction, en moins littéraire » Gilles Dumay), Bradbury (succès particulièrement exceptionnel pour un nouvelliste) ou Le Guin, d’autres ont connu des destinées plus divergentes.
La France peut s’enorgueillir d’avoir reconnu le génie de Dick bien avant son propre pays. Au point de créer une véritable école dickienne, avec Pelot (Le sourire des crabes, mazette, quel chef-d’œuvre !!!) ou Jeury.
Son pays natal s’est rattrapé sur le tard, en lui offrant une entrée dans l’équivalent américain de la Pléiade..

Poul

Anderson

a lui, souffert de l’excès inverse.
Très populaire dans son pays natal, il l’a été beaucoup moins en France. Il faut dire que les deux hommes, qui s’admiraient (

Anderson

pastichera même Dick), n’en divergeaient pas moins.
Dick était une figure de la contre-culture, qui prendra assez tardivement des positions détestables.

Anderson

lui, a eu de nombreux torts.
Tout d’abord, un fort éclectisme, chose que nous goûtons peu assez peu au pays des jardins à la française.
Pensez donc. Un physicien de formation qui s’intéresse à l’Histoire, écrit de la fantasy ou de la hard-sf (soit la sf la moins populaire de par chez nous).
Notons d’ailleurs que, contrairement à Heinlein, champion toutes catégories des Hugo et Retro Hugo (10 en tout),

Anderson

a reçu un bon nombre de Hugo ET de Nebula. Un best-of d’

Anderson

sera même établi par Barry Malzberg, et il figurera dans les Dangereuses visions du regretté Harlan Ellison. Bref, un homme qui parle aussi bien à la New wave qu’à l’Age d’or.
Ajoutons-y des positions libertariennes plutôt inclassables, dont n’ont été souvent retenus que les penchants droitiers (son soutien à la guerre du Viêt-Nam), plutôt que ses aspects libertaires.
Pire encore que tout ce qui précède,

Anderson

aime écrire des nouvelles, notamment de longues nouvelles, qui semblent être le format de prédilection de son incontestable talent, comme en témoignent la plupart des prix qu’il a reçu. Trop longues pour être des nouvelles, trop courtes pour être des romans. Cette ribambelle de prix, aussi nombreux soient-ils, n’aident pas, dans un pays qui, hélas, ne jure, hélas, (presque) que par le roman.
Concluons sur une édition assez parcellaire de ses œuvres, de cycles incomplets à l’absence ou quasi-absence de grandes collections et des grands éditeurs (Ailleurs et demain, Présence du futur) et vous aurez une idée de l’étendue du désastre.

Bref,

Anderson

et la France, c’est un long malentendu aux causes multiples, qui semble maintenant avoir enfin disparu.
Pour la nouvelle, on repassera. Il suffit, hélas, de voir la destinée de Harlan Ellison.


Pour ma part, je le tenais pour le sympathique auteur des Croisés du cosmos, qui était d’ailleurs son seul livre disponible pendant de longues années. Ainsi que des bouts de cycles incomplets, comme le premier tome de La patrouille du temps et rideau sur la suite pendant des décennies. Il a donc fallu, pendant longtemps, se contenter d’un livre de lui (Les croisés du Cosmos), et de quelques critiques éparses (et parfois dégueulasses) en guise d’appareil critique sur l’auteur. Autant dire la misère.
Puis vint ]e magnifique ouvrage de Jean-Daniel Brèque, d’une finesse et d’une intelligence remarquables.
Il est fort dommage qu’hormis [url=https://www.noosfere.org/livres/EditionsLivre.asp?numitem=23141&NumEditeur=2078944381&NumCollection=1975550508]Heinlein[/orl], peu d’auteurs aient eu droit à des monographies d’une telle qualité. Un déficit fort dommage pour la sf en France. Sans compter que Heinlein a été bien mieux servi par l’édition française qu’

Anderson

.

Lors de sa parution, la plupart des textes de ce recueil étaient inédits, et peu ont été repris depuis.
Il convient de saluer, outre un choix remarquable de textes, l’excellente préface de Marc

Duveau

x, dont le titre Le merveilleux et la liberté, qui résume assez bien l’esprit

anderson

ien. Sa bonne connaissance de l’œuvre (d’autant plus frustrantes que certains textes évoqués sont difficiles à trouver ou non traduits) permet de tuer dans l’œuf les préjugés contre l’auteur, en offrant un bon panorama d’une œuvre particulièrement étendue, qui brasse vraiment tous les styles.

Un rapide coup d’œil sur l’origine des textes permet de voir une agréable variété, où tout n’est pas obligatoirement passé sous les fourches caudines du cambellisme, loin de là.
Il faut dire que l’éclectisme de l’œuvre d’

Anderson

s’y prêtait assez mal. Contrairement au portnawak van vogtien…
Bref, ce recueil, alors ?

Alors il s’ouvre sur le premier texte de l’auteur, qui me permettra de commencer en parlant de tous les textes sf de ce recueil.
Du post-apo solide, hanté par la récente déflagration des bombes atomiques. On dira ce qu’on en voudra, mais quand on compare aux tous premiers textes d’Asimov, il n’y a pas photo.

Anderson

, c’est autrement mieux. Pas inoubliable, mais pour un premier texte, c’est plutôt bien. Un peu long et poussif toutefois.
Le monde a été ravagé par une guerre nucléaire entre les Russes et les Américains. Prise entre les deux feux, l’Europe a été ravagée.
Nous suivons un survivant qui se déplace en avion dans des Etats-Unis totalement ravagés, où les radiations font encore pas mal de dommages. Le texte raconte la lente et pragmatique tentative de redressement dans ce monde ravagé.
L’un des aspects plaisants est la confiance en la science : le futur sera scientifique ou ne sera pas. Nous sommes assez loin de Walter Miller, et

Anderson

affiche un scepticisme pragmatique, sans grande illusion sur la nature humaine. Si l’Homme et la science ont poussé le monde à la ruine, eux seuls peuvent le / se relever des ruines. Plaidoyer pro domo d’un jeune physicien, ce texte se caractérise par une certaine forme d’optimisme qui ne sera pas toujours, loin de là, la marque de l’auteur. Un texte qui fait écho avec la catastrophe climatique actuelle : seule la science et la technologie permettront de décarbonner l’énergie et l’alimentation.


Epilogue s’annonce non seulement comme le premier chef-d’œuvre du recueil, mais surtout comme un chef-d’œuvre tout court.
Il est assez difficile de le résumer sans le dévoiler.
On y trouve deux fils narratifs, chacun renvoyant à des protagonistes radicalement différents.
D’un côté, une planète peuplée de robots, qui semblent avoir remplacé la vie animale, humains y compris. On y retrouve même de la prédation, avec des robots qui se chassent, se tuent et se dévorent.
De l’autre, des humains, qui vont tenter d’explorer cette planète.
On pense à Star Trek ou Cosmos 99 pour la confrontation avec l’altérité.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la dimension cruelle et pessimiste, qui offre même une véritable scène d’horreur que n’auraient pas reniés Hooper ou Romero. Pas moins. Le tout avec une bonne conscience et une innocence qui glacent le lecteur.
Avec ce texte paru dans Analog,

Anderson

tranche radicalement avec les robots d’Asimov et Campbell.
Il ne joue pas sur la souplesse des lois et leurs contradictions internes. Le récit est brut, et plonge son lecteur au cœur des ténèbres, sur les pas d’un Conrad qui aurait délocalisé son Afrique dans l’espace.

Terrien, prends garde est certainement le texte le plus poignant du recueil, qui n’est pas sans rappeler Sturgeon ou Tant de chaleur humaine de Silverberg, avec une touche de space-op.
Là encore, avec cette histoire d’enfant surdoué,

Anderson

signe tout simplement un nouveau chef-d’oeuvre, rien de moins.

Critique de la raison impure confronte avec humour l’ingénieur et le littéraire, c’est-à-dire les deux mondes les plus opposés quel l’on puisse imaginer, surtout quand on ne lit pas de hard-sf.

Anderson

se livre à une satire assez réjouissante du monde de l’édition, qui presse l’écrivain comme un citron. Et il en profite pour donner un bon coup de pied au cul à des crétins comme Michel Tournier : « Science-fiction. Ces deux mots jurent à mon oreille. Ils se font l'un à l'autre une guerre inexpiable qui condamne le produit de leurs amours malheureuses à n'être qu'un avorton minable (...). Ce qu'il y a de sec, indigent et primaire dans le roman de science-fiction, c'est qu'il s'enferme par définition dans la sphère aride des sciences et des techniques. C'est une littérature bonne pour le conservatoire des Arts et Métiers ou pour le sous-sol du Bazar de l'Hôtel de Ville. » Un humour slavateur, qui montre qu’

Anderson

a une palette sacrément étendue.

Duel sur la Syrte nous emmène sur une Mars qui rappellera celle de Dick dans l’un de ses meilleurs romans Glissement de temps sur Mars, où les Martiens sont un peuple agonisant, maltraité par les Humains.

Anderson

y met en scène un chasseur qui n’aime que massacrer des espèces rares, et menacées. Il revisite Les chasses du comte Zaroff en y injectant une bonne dose d’angoisse mathesonienne, tout en mettant une sacrée gifle au colonialisme. L’occasion de rappeler qu’avec ce texte superbement écrit,

Anderson

ne peut définitivement pas être considéré comme réac, très loin de là. Il semble même autant apprécier les chasseurs que Franquin ou Cabu !

Interdiction de séjour, texte humoristique à la chute in cauda venenum. Je préfère ne pas trop en dire pour ne pas gâcher le plaisir de lecture, si ce n’est qu’

Anderson

signe là encore un texte magistral. Lui qui excelle dans la novella se montre génial dans le texte court et à chute.

Le martyr est un texte plutôt science-fantasy, qui annonce les variations de Zelazny sur les mythes. Les humains vont tenter de conquérir l’immortalité, et donc la liberté, contre les dieux. Ce récit d’une lutte prométhéenne illustre bien la dimension libertaire d’

Anderson

, et casse là encore son image de réactionnaire. Car franchement, quoi de plus révolutionnaire que de s’attaquer aux dieux ?!

Transition toute trouvée pour passer à la fantasy, c’est-à-dire retirer ses boulons à la sf.

Bien qu’hermétique à la fantasy, j’ai bien aimé l’humour bien noir du Barbare. Un texte à chute humoristique, qui revisite le mythe de Conan.
La Vaillance de Cappen Varra est lui un texte d’une toute autre ampleur.

Anderson

nous plonge ici dans un monde de conte de fées, et nous offre certainement l’un des plus beaux textes, littérairement parlant, du recueil. Imaginaire riche et luxuriant, personnages solidement campés, intrigue aux échos shakespeariens… Même un hermétique à la fantasy comme moi y a trouvé son compte.

Ce recueil, qui se conclue en beauté avec la novella Sam Hall (dont je parlerai plus en détail dans une prochaine chronique), tentait à l’époque de donner à Poul

Anderson

la stature qu’il mérite : celle d’un géant.
Celle d’un des meilleurs auteurs de l’imaginaire, maltraité par l’édition francophone, incapable de lui donner le lustre qu’il méritait.

Anderson

s’y révèle un touche-à-tout génial, capable d’écrire de la fantasy comme de la hard-science, voire des textes sturgeoniens, d’exceller aussi bien dans la novella que dans le court texte à chute, dans la tragédie comme dans l’humour. Ou plutôt devrais-je dire les humours, car nous allons de la satire décapante à l’humour le plus noir.

Anderson

y apparait comme un auteur atypique, aussi à l’aise avec l’Age d’or que la New wave. Comme un défenseur de la liberté, mettant toujours en garde contre les périls, notamment avec Sam Hall, texte visionnaire sur l’informatique et le fichage, qui n'est pas sans écho avec les réflexions de François Sureau.
A l’heure où l’Amérique, via sa Cour suprême (ou ses Clowns suprêmes selon Gary Francione), connait une inquiétante dérive, le message de liberté de Poul

Anderson

est plus que jamais d’actualité.

Marc

Duveau

remplit à merveille la mission qu’il s’était assigné :convaincre qu’

Anderson

est un géant.
Comme je ne juge les auteurs que sur leurs œuvres, je suis très largement convaincu.

Anderson

devient pour moi un égal de Robert Silverberg. Un génie aux multiples palettes, que les réalités de l’édition ont conduit à beaucoup trop écrire. Une œuvre vaste et colossale, qui ne manque surtout pas de chefs-d’œuvre.

Malheureusement, la plupart des textes de ce recueil ne sont plus disponibles, mais pas mal d’autres de ses livres le sont, à commencer par l’intégrale ENFIN traduite de La patrouille du temps. Revoir

Anderson

en librairie est donc une excellente chose. Son œuvre est si vaste que tout le monde, lecteur de nouvelles ou de romans, de fantasy ou de sf pourra y trouver son ample satisfaction. Il reste donc à souhaiter que le cinéma se penche enfin sur une œuvre qui le mérite amplement. Cela nous changera des décervelages Marvel, en nous offrant enfin de l’excellente sf.

Si

Anderson

est sorti de l’oubli, souhaitons qu’il en soit de même pour d’autres auteurs majeurs, à commencer par Harlan Ellison qui l’accueillit dans ses Dangereuses visions.




Poul Anderson, né en 1926, est un Américain de parents scandinaves. Il a passé sa jeunesse dans le Middle West et y a connu Simak, dont il partage l'attachement pour ces régions rurales peuplées de solides bûcherons. On l'a dit réactionnaire ; il est surtout romantique, individualiste et libertaire (au sens américain). Il croit à la supériorité des cultures archaïques sur la civilisation présente ou future dont il annonce la déchéance. Ses héros sont des débrouillards solitaires, servant parfois des régimes corrompus qui ne méritent pas leur dévouement ; le tout dans un climat d'humour, de mélancolie et d'action brutale, comme dans ses sagas islandaises préférées. Reconstruisant l'histoire future, il préfére l'anarchisme hardi des marchands interstellaires à la décadence prostrée des empires galactiques ; mais ce qui lui plaît le plus, c'est d'inventer des passés parallèles (La Patrouille du temps) ou des univers imaginaires et merveilleux (Trois cœurs, trois lions).


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