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zomver

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La possibilité d'une île

Michel Houellebecq


La possibilité d'une île
Première parution : septembre 2005

 Pour la présente édition :

Editeur : Fayard
ISBN : 2-213-62547-6

Ce livre est noté   (4/5 pour 1 évaluations)


J'ai lu ce livre et je souhaite donner mon avis
La critique du livre
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Entre chien et chatte(s)...

Note préalable (*)

Cette chronique vous est livrée sans préservatif ni corde. Si vous désirez savoir lequel de ces deux objets semble le plus approprié à votre usage personnel, vous pouvez vous soumettre à houellebecqts6.jpg target='_blank' rel='nofollow'>ce test mis au point par le cabinet de psychologie appliquée de la zomver S.A et remboursé par la cnav.

(*) esprits chagrins s’abstenir.



L’histoire

Daniel1 est un de nos contemporains. Homme de spectacle, auteur de sketches comiques, il doit son succès à l’humour grinçant et sans concession avec lequel il jette un regard d’une lucidité clinique et désabusée sur la société qui l’entoure et sur lui-même.

S’il balade son cynisme de spectacles en interviews, Daniel1 traîne également sans enthousiasme sa queue de vagin en vagin. Puis il rencontre Isabelle. Elle baise bien et elle n’est pas conne. Daniel1 tombe vraiment amoureux. Mais Isabelle pense qu’après quarante ans, une femme n’a plus d’attraits. Elle s’éloigne. Daniel1 fait la connaissance d’Esther, beaucoup plus jeune que lui. Elle baise encore mieux qu’Isabelle. C’est le grand amour. En plus, Daniel1 constate qu’Esther a au moins eu une conversation intelligente avec lui : il est comblé. Mais Esther est jeune et lui, reconnaît qu’il commence à avoir les couilles flasques…

Un jour, entraîné par des amis, Daniel1 se rend à une invitation de la secte des Elohimites (pour ne pas dire la secte des Raéliens). S’il semble prendre du recul par rapport aux croyances divulguées par ces derniers, il n’en est pas moins intéressé voire fasciné par certaines des promesses faites aux fidèles dont celle de l’immortalité: ceux qui se prêteront à un prélèvement d’ADN et écriront un récit de leur vie revivront éternellement via des clones successifs quand la technique de clonage sera au point.

C’est longtemps après la mort de Daniel1 qu’elle le sera.

Quand le premier clone de Daniel1 a vu le jour. Il s’est imprégné du récit de vie de son original, a vécu sa vie de clone, a consigné ses commentaires. A sa mort, un autre clone a pris la relève s’imprégnant du récit de vie de Daniel1 mais également des commentaires du premier clone et ainsi de suite.

C’est Daniel24 et à la mort de ce dernier, Daniel25 qui nous font découvrir la vie de Daniel1 via son récit de vie et les commentaires des clones précédents.

Une vie bien ennuyeuse et monotone que celle de ces néo-humains qui ont (presque) fini par oublier ce qu’est une émotion. Autotrophes, ils naissent adultes et sont imprégnés d’une vie qu’ils n’ont pas expérimentée. De plus, ils ne goûtent pas les plaisirs de la chair car ils vivent dans une solitude physique qu’ils jugent seule garante de la liberté : si Daniel25 communique avec Esther 31, c’est par écrans interposés.

Que font-ils, ces néo-humains ?

Ils attendent les Futurs, évoquent un guide spirituel : une Sœur suprême à propos de laquelle nous n’apprendrons pas grand-chose et se dirigent sans appréhension vers une mort tranquille, programmée, sans souffrance, une mort qui, ils le savent, sera suivie de la venue du clone suivant.

" La conscience d’un déterminisme intégral était sans doute ce qui nous différenciait le plus nettement de nos prédécesseurs humains. Comme eux, nous n’étions que des machines conscientes; mais, contrairement à eux, nous avions conscience de n’être que des machines".

Parfois certains clones doutent. Il y en a qui font défection et franchissent la barrière de protection de leur résidence pour partir dans un monde que l’on devine dévasté, un monde où des humains retournés à l’état sauvage survivent tels les premiers primates.

Pourquoi partent-ils ? Que cherchent-ils ? Qu’est-ce qui a décidé Marie23 à quitter la rassurante routine de sa vie de néo-humaine ?

Un poème.

Un poème écrit par Daniel1 pour Esther1.
Un poème qui se termine ainsi :

"[…]
Il existe au milieu du temps
La possibilité d’une île."



Mon avis

Je pourrais vous dire que ce livre est sale
Je pourrais vous dire que ce livre est provocant
Je pourrais vous dire que le tapage médiatique dont il a fait l’objet m’a prodigieusement agacée
Je pourrais vous dire qu’il y a une complaisance certaine vis-à-vis de la secte des Raéliens et que ça me DEPLAIT
Je pourrais rajouter que j’en veux à Michel

Houellebecq

de faire dire à Daniel1 que Teilhard de Chardin est un allumé de première même s’il le fait (hélas) avec un humour parfait.

Ouaip, je pourrais.

D’ailleurs je le fais.

Voilà.

Tant que j’y suis, je vais laisser au vestiaire la polémique sur la misogynie. Moins on évoque ce mème lamentable, moins on participe à sa propagation.

Passons donc à ce qui reste : le regard cynique sur la société et la réflexion existentielle. Deux axes de réflexion qu’il faut selon moi dissocier. Le premier aspect (traité certes avec un humour acéré) m’a paru si peu constructif qu’il m’a finalement agacée mais le second m’a profondément touchée. En d’autres termes, le récit de vie de Daniel1 n’a selon moi d’intérêt que par les commentaires qu’en font ses clones.




Parlons d’abord de ce qui me gêne : la vie de Daniel1, archétype du nihiliste.

Le nihilisme, ça va dans les salons, quand on discute en faisant nonchalamment tourner le glaçon dans le verre et en grignotant mollement son toast de caviar…Mais en vrai, hein, en vrai, ça mène où ? Ce n’est pas en conchiant tout ce qui nous entoure, en se chiant dessus au passage et en se contentant de fourrer sa bite dans tout ce qui traîne qu’on fait avancer les choses !
A lire ce livre, on a l’impression que lorsqu’un homme constate la vacuité de son existence, le seul moyen qu’il trouve pour lui donner un sens est de forniquer à tout va.

Hors de la baise, point de bonheur ?



C’est léger tout de même, non ? De plus, ça restreint et obscurcit singulièrement ma vision de l’Homme.
Certes la condition humaine n’a pas vraiment de quoi nous faire nous gondoler de rire mais elle n’en a pas moins une certaine grandeur que je me refuse à passer sous silence. Les bouffeurs de malheur pourront par exemple constater qu’alors même que la certitude de la mort devrait anéantir toute envie d’entreprendre quoi que ce soit, l’Homme construit, crée. (Malraux n’écrira t-il pas que "L’art est un anti-destin" ?), invente (à défaut d’avoir foi en l’Homme, Michel

Houellebecq

clame tout de même sa foi en la science, laquelle d’ailleurs avance - ce me semble - grâce à l’Homme)

L’Homme, pour moi, ce n’est donc pas seulement un Daniel1 qui crève de moins bander ou une Isabelle qui refuse ses rides, c’est aussi un Gisors [1] et sa passion de comprendre, un Kyo [1] et sa passion d’agir, une Maria [2] et sa rage de s’en sortir.
André Malraux (oui, toujours lui) a écrit :"On a proclamé : l’homme, ce sont ses fantasmes, ses pulsions, ses désirs cachés. J’ai envie d’écrire : c’est ce qui se construit sur cette conscience véhémente d’exister, seulement d’exister. ".
Voilà qui me convient mieux même si, enfouies tout au fond de moi, soyons franc, il y a aussi cette peur terrible de la vieillesse (celle-là même qui hante

Houellebecq

) et surtout cette conviction intime qu’on attend tous un peu Godot.

Recentrons.

Oui, notre société va mal mais on n’a pas attendu ce livre pour s’en rendre compte d'autant que sur ce thème, il n’apporte pas grand chose. Il y a déjà trente ans, les sketches de Coluche donnaient une vue assez saine et caustique de la situation. Côté SF, de Ballard à Spinrad (et j’en passe), on ne compte plus les œuvres sur le sujet !



Ce qu’il faut plutôt retenir de ce livre, c’est la réflexion sur l’immortalité, une immortalité loin d’être garante du bonheur.

La mort serait-elle de fait ce qui donnerait du sel et de la valeur à la vie ? Nos actes seraient t-ils guidés en permanence par la conscience de notre finitude ? (Ah ! Cela rejoint certains thèmes de Zardoz. Si, si ! Pensez-y au lieu de rigoler en évoquant pour la nième fois, les cuissardes rouges de Bond, James Bond).

Quelle meilleure illustration de cela que

Houellebecq

citant Baudelaire ?

" C’est la mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;
C’est le but de la vie, et c’est le seul espoir… "


Le bonheur, celui qui est - comme chacun sait - dans le pré, porterait-il déjà en lui sa part de souffrance puisqu’on sait qu’il va filer (le bonheur que le sexe apporte à Daniel1est d’autant plus intense et terrible qu'il sait que la vieillesse arrivant, un jour, il ne le vivra plus) ?

Faut-il se heurter à la Souffrance pour comprendre ce qu’est le Bonheur (ce n’est que par la mort de son chien, clone du chien de Daniel1, que Daniel25 expérimentera la souffrance qui lui fera comprendre que sans le savoir, il avait déjà expérimenté une forme d’amour et donc vécu une certaine forme de bonheur)?

Ce Bonheur serait-il l’île auquel le titre fait allusion ou bien faut-il voir dans cette île une métaphore évoquant un besoin de transcendance de l’Homme, quelque chose en relation avec ce sixième niveau que Maslow a rajouté à sa pyramide des besoins ?



Au fait, et la SF dans ce bouquin ?

Et bien, elle est plutôt pâlichonne, réduite à n’être qu’un outil et certainement pas une tentative d’anticipation de notre futur comme on aurait pu se l’imaginer puisqu’il est tout de même question de clones. Si l’on parle ici de clonage, ce n’est que pour simuler une pseudo immortalité. Aucune réflexion éthique sur le clonage donc. Si c’est cela que vous cherchez, lisez plutôt Reproduction interdite de Jean-Michel Truong.

De même ce n’est certainement pas avec ce livre que vous verrez, abordés objectivement, les problèmes des sectes et leurs effets aliénants (à commencer par l’anéantissement du libre arbitre dont elles se font une spécialité). Si c’est cela que vous cherchez, lisez Les miroirs de l’esprit de Norman Spinrad.



Alors ? Faut-il recommander ce roman ?

Désolée, je ne sais pas. Pourtant vous l'aurez compris, il n'est ni mauvais ni fade. Loin de là. Je l’ai finalement plutôt aimé. Un côté "Schopenhauer pour les nuls" certes mais après tout, ce livre est plus digeste que la philo d’Arthur.

Sa structure extrêmement travaillée alterne les scènes de la vie de Daniel1 avec les commentaires de ses clones et les sauts que le lecteur est obligé de faire sont autant d’occasions pour lui de prendre du recul par rapport à la vie de Daniel1. (Il est d’ailleurs aisé pour le lecteur de se repérer car les chapitres commencent comme les versets de la Bible : Danielx, y scorrespond au y ième récit relatif à Danielx).

Quoi qu’en dise l’angelot vert, ce roman est bigrement bien écrit. Les idées exprimées le sont dans une prose fluide, simple (certainement pas la plus facile à pondre selon moi) parsemée de passages d’une remarquable fulgurance poétique. A ce titre, la dernière partie du roman est très belle.

Pour conclure (enfin !), si vous voulez un chef d’œuvre, passez votre chemin mais si l’excellence même fugitive est susceptible de vous tenter, si vous pensez qu’il est fondé que de temps en temps, on vous chie dessus parce que vous n’êtes pas forcément quelqu’un de génial, si vous pensez qu’il n’est pas absolument idiot de se dire que le corollaire indissociable du bonheur est la souffrance et que l’absence d’émotion (et donc de passion), c’est sans doute une sorte de mort, alors ma foi, pourquoi n’ouvririez –vous pas ce livre ? Un auteur vous fait part de ses états d’âmes et même si ce ne sont pas les vôtres, pourquoi ne pas essayer de les comprendre à défaut de les partager ?


[1] La condition humaineAndré Malraux
[2] Chair à pavéNorman Spinrad


Edit: orthographe




Qui, parmi vous, mérite la vie éternelle ?





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