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Gagner la Guerre

Jean-Philippe Jaworski


Gagner la Guerre
Illustration : Arnaud Cremet
Première parution : 05 mars 2009

 Pour la présente édition :

Editeur : Les Moutons Electriques
Collection : La bibliothèque voltaïque
ISBN : 2915793646

Ce livre est noté   (5/5 pour 1 évaluations)


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La critique du livre
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« Je n’ai jamais aimé la mer.
Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n’ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est plus gras, c’est plus trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c’est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l’ivresse.
Je n’ai jamais aimé la mer, et ce n’était pas près de s’arranger. »


Voilà comment le lecteur découvre Don Benvenuto en abordant le pavé de 680 pages de Gagner la Guerre. Imaginez un peu : l’assassin émérite de la guilde des Chuchoteurs au service du plus puissant monarque de la République de Ciudalia, le Podestat Leonide Ducatore, en train de rendre ses repas par-dessus bord devant un parterre d’officiers et de marins.
Découvre d’ailleurs ou redécouvre puisque Don Gesufal Benvenuto était le principal protagoniste de la nouvelle Mauvaise Donne de l’excellent recueil Janua Vera (Prix du Cafard Cosmique 2008) du même Jean-Philippe Jaworski. Cette nouvelle plantait déjà le décor du Vieux Royaume et de la République.

Et ainsi, Gagner la Guerre fait suite à cette mise en bouche.
En découvrant la bête, il y a de quoi être impressionné : un pavé de près de 700 pages dans la collection des Moutons Électriques au rayon Bibliothèque Voltaïque le tout enrobé d’une superbe couverture d’Arnaud Cremet. Et pourtant rassurez-vous, arrivé au bout de l’ouvrage…On est plus qu’heureux du voyage entrepris.

Remettons d’abord les choses en place :
Don Benvenuto est un maître assassin désormais au service de son excellence le Podestat Leonide Ducatore, dirigeant suprême de la République de Ciudalia. Embarqué sur une galère de la flotte de guerre de son patron et suite à la défaite de l’adversaire Ressinien, Gesufal entreprend le retour vers la République pour apporter la nouvelle de la victoire accompagné du patrice Bucefale Mastiggia. Bientôt, entre les hauts-de-cœurs causés par son mal de mer, l’assassin se rend compte que leur galère est poursuivie par trois autres navires de guerre. Décidément, La guerre semble loin d’être gagnée surtout lorsque l’on sait qu’après les règlements de comptes entre royaumes viennent les règlements de comptes internes. C’est la qu’intervient notre « Gentilhomme »…
Le personnage principal est donc une crapule sans remord et sans conscience qui ne cherche qu’à tirer parti et avantage des situations dans lesquelles il se fourre inéluctablement du fait de sa condition de tueur. C’est lui qui nous comptera ce récit de bout en bout avec un cynisme et une désinvolture jouissifs, un franc-parler jubilatoire et un humour caustique ravageur. Il se permettra d’ailleurs souvent de s’adresser à toi, lecteur, pour te mettre dans le doute ou te tourner en dérision…Et on adore ça.
Car oui, Don Benvenuto est un personnage fantastique, d’une complexité rare et d’un charisme redoutable. On se surprend plus d’une fois à aduler ce personnage, à la fois fripouille odieuse et fin tacticien lorsqu’il s’agit d’appréhender les intrigues politiques.

Intrigues Politiques. Résumons ce livre ainsi, si vous me le permettez, puisque ce n’est pas de la fantasy courante qui vous sera servie avec des platées de magies, de bestioles et d’elfes. Non définitivement pas même si elle est bien présente cette touche, mais j’y reviendrais. Ici, vous serez jeté en plein milieu de tractations et machinations politiques qui secouent la République. Des machinations passionnantes et menées d’une main de maître par le preux

Jaworski

. Entre négociations pour le pouvoir et luttes entre familles voir au sein d’un même clan, le tout est d’une cohérence et d’une authenticité à en faire pâlir d’envie bien des auteurs. On rapprochera d’ailleurs cela en images du Rome de HBO.

« Pour le marin en bout de course, Ciudalia est une femme qui sait se faire désirer. Elle lui adresse des signaux de plus en plus appuyés de sa présence, mais se dérobe encore longtemps derrière les horizons méridionaux »


Et cette comparaison n’est pas innocente, vous l’aurez deviné puisque le livre se passe surtout à Ciudalia qui fait furieusement penser à la Rome antique, tant par son sénat et ses maisonnées à l’italienne que par l’ambiance et la personnalité de la ville. C’est un très grand tour de force d’ailleurs que de donner un caractère si vraisemblable et si marqué à une ville en à peine quelques pages. Le lecteur est directement plongé dans les méandres d’une cité tentaculaire autant qu’impressionnante, un personnage à elle seule, l’ombre d’une géante sur un récit gigantesque.
Mais rassurez-vous, Benvenuto verra du pays : des contrées orientales de Ressine à celles glacées de Bourg-Preux, nous nous baladons dans le Vieux Royaume, à l’affût des histoires mirifiques et prolifiques sur son passé et son présent. Et toujours le même talent, toujours présent cette vision de peintre de l’auteur qui dépeint des contrés et surtout ses habitants avec une facilité et une efficacité qui force le respect. Encore une fois, on est bluffé par l’authenticité du tout, on y croirait.

Ce talent trouve notamment sa source dans la force des mots employés par l’auteur, de son style ciselé et étudié. Magnifique de la première à la dernière page, fleuri par le langage de spadassin de Gesufal, on reste presque pantois par ce ballet littéraire qui offre des tirades souvent d’une rare beauté en étant toujours d’une fluidité étonnante. Depuis Gene Wolfe et son Ombre du Bourreau, on avait pas autant apprécié le style d’un auteur de fantasy.

« Cette arrogance charmeuse, cette grâce insupportable, ces silhouettes élancées et ces yeux de chat dans des têtes mignardes : je m’étais fait piéger par des elfes ! »


Oui, le mot est lâché : Fantasy. Il y a bien des éléments de fantasy disséminés au grès des pages, des sorciers dont les pouvoirs restent énigmatiques et souvent peu démonstratifs (quoique…), des elfes loin des caricatures courantes et pourtant reconnaissables au premier coup d’œil,et un nain dont le portrait est aussi réjouissant que crédible. Mais, c’est une touche, ce n’est pas le but de l’auteur, c’est un habile mélange, une pincée de fantasy qui donne du piquant à l’atmosphère et parfois des frissons (on repensera aux terrifiantes pages de la petite fille). C’est habile, sans lourdeur et avec subtilité. Bref, beaucoup d’ouvrages de fantasy actuelles devraient en tirer des leçons.

Et comment oublier ces personnages, pourtant si nombreux, au moins une vingtaine, et néanmoins si bien décrits, avec plus de charisme et de caractère les uns que les autres. Nous restons cois devant des personnages si exquisément pensés tel que Leonide Ducatore, un salaud calculateur d’une intelligence qui n’a d’égale que son ambition personnelle. Nous admirons le preux Belisario Ducatore pourtant installé en quelques pages et nous détestons bien rapidement la peste de Clarrisima Ducatore. Il reste aussi tous les seconds couteaux, les hommes d’armes, le Capitaine Melanchter, la Compagnie Folle singulière, drôle et attachante….Tant et tant de visages et de personnalités qui ont une chose en commun : la capacité hors du commun de

Jaworski

d’en faire des personnages redoutablement étudiés et pensés, une galerie haute en couleur et d’une précision psychologique acérée.

N’oublions pas pourtant l’intrigue, l’aventure du maître-assassin sous la houlette de son scribe Jean-Philippe. Une aventure gigantesque, pensée dans ses moindres détails où rien n’est laissé au hasard. Une précision et un traitement hallucinant de qualité, un divertissement de haute voltige alternant les intrigues tordues aux coups d’éclats, aux moments épiques et intimistes. Une grandiose réussite, on ne peut reposer le livre, pris en plein dans les complots même si on déguste le met de messire

Jaworski

lentement, comme un grand vin qui se bonifie au fil des pages pour déboucher sur une fin au diapason du récit ! Car cette fin, comme pour tout pavé, on l’appréhende, sera-t-elle à la hauteur ? Et si surprenant que cela soit, elle est faite d’un unique mot, et jamais fin n’aura été aussi cyniquement jouissive. Du grand art.

Soyez certains que les Récits du Vieux Royaume n’ont pas finis de nous surprendre puisque l’auteur s’ouvre des pistes au fur et à mesure de l’histoire. Il dresse à l’occasion des mythes et légendes fortes qui transforment ce Vieux Royaume en un territoire brumeux que l’on ne cherche qu’à sonder, par impatience et par envie, mais surtout pour sa richesse.

Terminons en rappelant que certains pourraient être surpris, la fantasy de Jean-Philippe

Jaworski

tient du médiéval plutôt que du récit épique avec créatures et batailles. Mais ne faisons pas la fine bouche pour un met si succulent, une telle ambition à tant de niveaux ne peut qu’être saluée.
Méfiez-vous de surcroît des velléités de sa seigneurerie Benvenuto…

« Mais à vrai dire, j’en ai pas grand-chose à battre, de me faire pardonner. Je sais qui je suis, c’est pas joli joli, mais c’est comme ça. Et puis j’ai pas envie de me casser le trognon à vous lécher le Conte du Moricaud. A vrai dire j’en ai plein les poulaines de cette confession. »

Avec Gagner la Guerre, Jean-Philippe

Jaworski

vient surtout de gagner mon cœur de lecteur, et fait définitivement parti des plus grands auteurs français aux côtés de Stéphane Beauverger ou Catherine Dufour. Rappelons, même si le recueil de nouvelles Janua Vera avait déjà marqué les esprits, que ce livre est son premier roman. Et là, ça calme. Une prouesse ? Une baffe ? Un grand moment de lecture peut-être.

Absolument mon bon monsieur.




Au bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier. » Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère. Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon…





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Jean-Philippe Jaworski



Cette critique est signée Maralan
17 réponses y ont été apportées. Dernier message le 29/07/2009 à 20h16 par Jekub

Science-fiction

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