Orwell vs Huxley

Bonsoir à tous,

L'un des sujets précédents m'a donné l'envie de recueillir vos opinions concernant les parallèles pouvant être établis entre 1984 et Le meilleur des mondes.

Ces ouvrages, au demeurant monuments de la SF, abordent en effet la même thématique : celle de la société totalitaire parfaite, mais adoptent deux points de vue très différents. D'un côté, la société imaginée dans 1984 utilise la répression physique à outrance, tandis que celle du Meilleur des mondes exerce son contrôle de manière nettement plus insidieuse, en effectuant une sélection in-vitro puis en endoctrinant les individus dès leur plus jeune âge. Sans oublier les doses de soma permettant à tout un chacun de libérer occasionnellement la pression (le soma est même distribué aux ouvriers effectuant les tâches les plus ingrates à la fin de leur journée de travail). Comme le faisait justement remarquer Damien, la violence physique est à ce point exclue de ce meilleur des mondes, que les irréductibles ne sont pas exécutés, juste déportés sur une île isolée et laissés à leur sort.

Huxley, dans son essai intitulé Retour au meilleur des mondes, établissait déjà quelques parallèles entre son oeuvre et le roman de George Orwell, et affirmait au passage qu'une société de type stalinien comme celle décrite par son collègue ne pourrait pas résister très longtemps car la répression physique entraînerait selon lui un sentiment trop important de frustration et de révolte...

Autre différence notable entre les deux oeuvres : le pouvoir décrit dans 1984 exerce son influence sur les classes moyennes et les couches sociales les plus élevées de la société, laissant le "petit peuple" se débrouiller comme bon lui semble, celui-ci ne représentant pas, selon Orwell, un danger. Dans Le meilleur des mondes, nous avons la situation presque inverse...

Quel est donc votre sentiment à cet égard ?

C'est marrant, je pensais à ces deux bouquins récemment en voyant le film Equilibrium, qui s'inspire largement du Meilleur des Mondes ou d'Un Bonheur Insoutenable d'Ira Levin, et je me disais la chose suivante : ces romans partent de l'idée d'un pouvoir qui contrôle les gens en limitant leurs émotions, alors que si je devais imaginer un moyen de contrôler les gens, je ferais exactement le contraire, c'est-à-dire que j'exacerberais les émotions des gens et je m'en servirais contre eux... La deuxième étape de ma réflexion, ç'a été de regarder autour de moi, de voir les placards de pub partout, et de me dire que c'était pas de la SF, c'est sans doute pour ça que les romans partent de l'hypothèse opposée...

		Citation : si je devais imaginer un moyen de contrôler les gens, je ferais exactement le contraire, c'est-à-dire que j'exacerberais les émotions des gens et je m'en servirais contre eux...

Je constate que certains sont assez machiavéliques ! ;-)
C'est une possibilité en effet mais, à long terme, ne serait-ce pas difficile à gérer, voire périlleux ?
Cela dit, le gouvernement d'Oceania utilise aussi cette technique, dans une moindre mesure certes, avec les minutes de la haine ou les défilés de prisonniers.

Quant à la publicité, il y a un peu de ça en effet. Créer des besoins artificiels sans cesse renouvelés aide à "occuper" les individus... Idem pour la soupe audiovisuelle (l'équivalent actuel du soma du meilleur des mondes ?)

Tout d'abord,pour mon premier message,je tiens à saluer tous les membres du forum.Donc : "salut à vous".

Oui,et dans le même genre il y a aussi Fahrenheit 451 de Ray Bradburry,je n'ai vu que le film sans en lire le roman,mais il est trés réussi.
Puisque je parle de cinéma,je ne peux m'empécher de citer trois autres films qui m'on fait penser à ce fameux thème du totalitarisme futuriste,en plus délirant et moins méchant toutefois : "Alphaville" de Godart,"The truman show" et en plus récent,"Et l'homme créa la femme".La série du "Prisonnier" m'y fait aussi penser.
En ce moment je lis le meilleur des mondes et je compte acheter 1984,le film,cet aprés midi,s'il est bien je vous ferai peut-être part de mes impressions.

La Force soit avec vous !

A mon sens, la différence entre 1984 et le meilleur des mondes est la manière de contrôler les gens.
Dans 1984, le contrôle et les répressions se calque sur le "projeté" des individus -> ce qu'ils disent, font. La punition est physique.
Dans le meilleur des mondes, on se calque sur l' "interne" des individus. On contrôle leur vie non par des chaînes et des matraques mais par une pilule ingérée, des procédés génétiques.
Il y a une différence externe/interne, mais j'ai du mal à l'exprimer.

J'abonde tout à fait dans le sens de Chi.
Le contrôle est beaucoup plus évolué chez Huxley, puisqu'il est très largement scientifique (génétique, chimie pour les drogues).
Chez Orwell, la répression est essentiellement physique, et les procédés d'espionnage et de flicage sont surtout techniques et assez rudimentaires (radio, hélicoptères, délateurs), et surtout endoctrinement.

Deleuze (in. Pourparlers) élabore le concept des sociétés de contrôle, où il n'est plus besoin de réprimer, puisque la logique du contrôle déconditionne le sentiment de révolte chez l'individu. Le contrôle marche surtout sur la peur (peur de la prison), beaucoup plus que sur le flicage. Il faut vraiment lire ce texte, court et limpide.
Dans le même esprit, la psychanalyse a aussi beaucoup apporté. Je pense en particulier à Wilhelm Reich et à son dyptique L'irruption de la morale sexuelle et Psychologie de masse du fascisme, sur l'auto-contrôle de l'individu (à ce sujet, lire du même auteur Ecoute, petit homme).
Il y a aussi les écrits du trop injustement oublié Otto Gross (Révolution sur le divan).
L'anti-OEdipe est aussi une lecture vraiment précieuse, par ses analyses de la répression du désir.

Orwell vs Huxley?
Mais d'ou vient donc cette rivalité?
Saviez vous que Huxley fut prof de français d'Orwell?
On pourrais croire que Huxley ai pu s'inspirer de certaine redactions ou idée de son élève ou l'inverse.
Je sais que c'est très anecdotique comme info et un peu hors sujet (quoi-que?)
Mais cela rapellera peut etre des choses a d'autres personnes.

Ils partageaient d'ailleurs un certain technoscepticisme, et étaient assez méfiants du progrès (Orwell se définissait comme anarchist tory : anarchiste conservateur).