Poldonski est un peintre raté, et sa vie ne lui semble guère la peine d'être vécue puisque tout autour de lui, le monde n'est qu'amertume et écœurement. Dégoûté de son existence, il planifie déjà sa fin, seul moyen pour lui d'enfin contrôler quelque chose. Etrangement, sa rencontre ave un certain Dagerlöff va l'entraîner dans un tout autre type de voyage vers la mort. Celui-ci, génie de son propre aveu, va donner à ce peintre misanthrope désabusé un ultime grand voyage par l'intermédiaire d'un bacille de son invention permettant à celui qui en est infecté de contempler le « présent vieilli ». Ainsi au fur et à mesure de ce voyage dans la causalité des choses, Poldonski va voir les gens, les aliments et les bâtiments vieillir, tomber en décrépitude puis disparaître...
Jacques
Spitz
est un de ces auteurs français du siècle passé tomber dans l'oubli. A l'instar de Régis Messac et de son superbe Quinzinzinzili, Les éditions de L'arbre vengeur ont décidé de redonner une seconde chance à cet écrivain par la réédition d'un de ses classiques, L'œil du purgatoire.Et comme pour Régis Messac, grand bien leur a prit puisque
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est un personnage dont le talent se devait d'être rappelé.Ainsi, sur un postulat de départ intéressant mais aussi très délicat à négocier, l'auteur nous convie tout d'abord à la vision d'un Paris du siècle dernier, une vision d'ailleurs résolument aigrie et désenchantée notamment vis-à-vis de ses contemporains, femmes et hommes s'y disputant le pinacle de la médiocrité humaine.
Il est intéressant d'ailleurs de constater par l'intermédiaire du personnage principal, la misanthropie exacerbée de
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, mais une misanthropie qu'il justifie avec moults démonstrations, une misanthropie au final salutaire puisque souvent très lucide.Dans un second temps, avec l'infection du personnage de Poldonski par le bacille de Dagerlöff, nous allons assister par les yeux du principal protagoniste à la lente désagrégation du monde. Car si dans un premier temps, les objets perdent de leur éclat et les passants perdent de leur jeunesse, bientôt
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se retrouve à nous compter les pas d'un homme qui ne voit plus que des squelettes et de la pourriture à la place de son environnement.La grande force du récit tient en cette description méthodique d'un monde vieilli aux yeux du narrateur, un monde qui se meurt et de la vision d'un futur qui transforme les plus jeunes des bambins en squelettes. De quoi rendre fou la plupart des hommes, et pourtant ce peintre va aller y puiser son inspiration avant de s'intéresser de plus près à ce qu'il serait capable de déceler de la vie après la mort.
Jacques
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pousse son raisonnement jusqu'au bout et ne se limite donc pas à raconter un monde qui est légèrement vieilli mais un monde qui s'achemine vers sa propre fin et dans cette fin, celle des hommes qui devient un des grand sujets du livre.En quelques 197 pages, l'auteur nous brosse donc non seulement un voyage inquiétant mais aussi une réflexion sur l'existence d'un hypothétique au-delà et du devenir de nos âmes. Un devenir forcément empreint de pessimisme comme il sied au propos du livre. Et même si le style de l'auteur est à la fois travaillé et suranné (lui ajoutant un certain charme), c'est avant tout la démarche
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qui fascine, celle de réfléchir sur la vie en partant de la mort.Comme lors de la réédition de Régis Messac, on saluera bien fort le travail de l’Arbre Vengeur qui agrémente cette fois le livre de petites illustrations ajustées au thème de la décrépitude. Jacques
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livre donc un ouvrage finement pensé et structuré quoique légèrement daté.Voici donc un classique de la littérature française à redécouvrir, en attendant la réédition d’autres œuvres de cet auteur par Bragelonne dans sa collection des Trésors de la SF sous le titre de Joyeuses Apocalypses en ce mois d’avril.