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soleilvert

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Hitler peignait des roses

Harlan Ellison


Hitler peignait des roses
Titre original : Strange Wine
Première parution : 2ème trimestre 1978

 Pour la présente édition :

Editeur : Les humanoïdes associés
Date de parution : 1er trimestre 1979

La critique du livre
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Premier recueil des quatre consacrés par Les Humanoïdes associés aux nouvelles de Harlan

Ellison

, Hitler peignait des roses est peut-être le plus chaud bouillant. Indépendamment des qualités littéraires soulignées par Stephen King dans son essai Anatomie de l’horreur, l’anthologiste des Dangerous visions dézingue l’establishment éditorial et télévisuel des décennies 60 et 70. Il y consacre une préface asphyxiante de quinze pages et une nouvelle, « L’oiseau » dans laquelle, par pseudo interposé, il massacre nommément la scène littéraire newyorkaise en l’espace d’une soirée. Il n’a pas digéré, bien qu’il ne l’évoque pas, les multiples réécritures d’un scénario légendaire pour la franchise Star Trek. De fait il se battra toute sa vie pour le respect de ses textes.

L’autre caractéristique, mais pas spécifique d’Hitler peignait des roses, est la présence envahissante, lourde, des notices précédant les nouvelles. A l’image de « A à Z dans l’Alphabet Chocolat » énumération de très courts récits rédigés pour la plupart en une journée dans la vitrine d’une librairie, Harlan

Ellison

se présente comme un écrivain écrivant : c’est moi Harlan regardez-moi tapant sur ma machine ! Il convie à sa table les plus grands noms comme William Blake dans le superbe « Voir », où il raconte l’histoire d’une mutante qui vend ses yeux pour pouvoir s’offrir une fin de vie dans un lieu paradisiaque. « Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaitrait comme elle est, infinie ». Cette citation permettait l’économie d’une introduction de quatre pages. Quant au texte, il parle de lui-même :

« Verna ferma les yeux et se mit à parler. Elle dit à la femme ce que signifie voir. Voir la direction des choses, comme les pois¬sons aveugles des grottes souterraines voient les variations du courant des eaux, comme les abeilles voient les bouffées de vent, comme les loups voient les halos de chaleur enveloppant les humains, comme les cloportes voient les murs des cavernes dans l'obscurité. Voir les souvenirs, tout ce qui lui était déjà arrivé, le bien et le mal, le beau et le grotesque, le mémorable et les futilités extrêmes, les souvenirs lointains et ceux de l'ins¬tant précédent, avec une netteté absolue, une profondeur de champ parfaite dans le moindre détail, tout le passé, sur demande. Voir les couleurs, la volupté des bactéries aériennes, les nuances infiniment subtiles des roches, des métaux et du bois naturel, les mutations délicates d'une flamme de bougie dans un spectre de lumières invisibles à l'œil ordinaire, les couleurs du givre, de la pluie, de la lune, et des artères palpitant à fleur de peau ; les couleurs intimement mêlées des empreintes digi¬tales déposées sur un crédit, si pareilles aux tableaux du vieux maître Jackson Pollock. Voir des couleurs qu'aucun œil humain n'a jamais vues. Voir des formes et des rapports de formes, la calligraphie enchevêtrée de toutes les parties du corps vivant à l'unisson, le jour se dissolvant en nuit, les espaces, et les espaces entre les espaces qui constituent, par exemple, une rue, les lignes invisibles qui relient les êtres, Elle parla de voir, de toutes les façons de voir — sauf..., la vue stroboscopique de chaque per¬sonne. Les ombres au sein des ombres derrière les ombres, qui constituent des portraits terrifiants, contournés, insupportables. De cela elle ne parla pas. »


L’écrivain offre en quinze fictions un nuancier d’horreur et de fantastique, n’atteignant pas les sommets que furent « La machine aux yeux bleus » ou « Un gars et son chien », mais jamais plat ni innocent. Dans « Croatoan » (âmes sensibles s’abstenir), qui a obtenu un Locus en 1976, un avocat va rechercher dans les égouts un fœtus balancé dans ses WC après un avortement clandestin ! Il y fait de surprenantes rencontres.
Un vendredi 13 l’Enfer s’ouvre accidentellement. Quelques âmes damnées s’en échappent dont Margaret Thruswood victime d’une erreur judiciaire. Le Ciel ne vaut pas mieux que l’opinion publique. Telle est la leçon d’ « Hitler peignait des roses ».
Une phrase d’Anaïs Nin « Il n’y a qu’une perversité : l’incapacité d’aimer » dicte plusieurs textes intéressants. « Mom » est le récit classique d’un homme poursuivi par le fantôme affectueux mais envahissant de sa mère juive. Pour prolonger son existence, un homme se fait injecter des doses infinitésimales de « mort » par une séduisante doctoresse. Mais quel est le prix exigé pour « Le diagnostic du docteur d’Arqueange » ? Un séducteur se voit retourner la monnaie de sa pièce dans « Les femmes solitaires sont les outres du temps ».

Quelques récits pas très substantiels se lisent sans déplaisir, tels « Le Boulevard des rêves brisés », des fantômes de criminels nazis défilent dans Manhattan ; ou une réminiscence de la légende du joueur de flute de Hamelin (« Le Messager de Hamelin »). Jugement mitigé pour « Dans la crainte de K » qui sous les auspices de Kafka et du Sartre de L’enfer c’est les autres dévoile l’incommunicabilité au sein d’un couple. On préfèrera le léger et amer « Breuvage d’outre-monde » réflexion en forme de ruban de Möbius sur la condition humaine digne de Bradbury.

Mes préférences vont dans l’ordre à « Voir », « Breuvage d’outre-monde », « Croatoan », « L’oiseau », « Les femmes solitaires sont les outres du temps », « Le diagnostic du docteur d’Arqueange ».

« -Docteur, ma vie est semblable à la vie de tout le monde. Je suis très souvent malade, j'ai des factures que je n'arrive pas à payer, ma fille a été renversée par une voiture et tuée, et je ne peux pas supporter d'y penser. Mon fils a été brisé au seuil de son existence, c'est désormais un infirme incurable. Ma femme et moi, nous ne nous parlons pas beaucoup, nous ne nous aimons plus... à supposer que nous ne nous soyons jamais aimés. Je ne suis ni meilleur ni pire que quiconque sur cette planète, et c'est de cela que je parle : la souffrance, l'angoisse, la vie dans la terreur. La terreur de chaque jour. Sans espoir. Vide. Cette vie horrible d'être humain, est-ce donc ce qu'une personne peut avoir de mieux ? Je vous dis qu'il y a des endroits meilleurs, d'autres mondes où la torture d'être humain n'existe pas. »

Harlan

Ellison

, toujours vivant.



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