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Olivier

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Dans l'abîme du temps

Howard Phillips Lovecraft

,

François Bon


Dans l'abîme du temps
Titre original : The shadow out of time
Première parution : 1936

 Pour la présente édition :

Editeur : Seuil
Collection : Points
ISBN : 978-2-7578-5139-5

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (2 réponses)

La destinée posthume rend parfois justice aux écrivains. Cela se vérifie de façon exemplaire avec

Lovecraft

.
Condamné à voir ses textes charcutés pour être publiés en revue, à bosser à droite à gauche pour boucler les fins de mois et devenir, entre autres choses, le nègre littéraire de Houdini. Que ne faut-il pas faire pour accepter d’être publié, à défaut d’en vivre ?

Ajoutons à ce charcutage préalable les traductions longtemps approximative de Jacques Papy, qui fit pas mal de coupes franches dans des textes déjà charcutés, agrémentées de réécritures, et nous mesurons la distance qui nous sépare de

Lovecraft

. Il y avait donc un véritable abysse entre le texte originel de

Lovecraft

, et sa restitution dans notre langue.

C’est cet abysse qu’a choisi de combler François

Bon

.

Encore une traduction, me direz-vous ?
Oui et non. Retraduire ou réviser une traduction n’est pas une mauvaise chose, surtout en sf et en polar, où la traduction a longtemps été bâclée.

Tout d’abord, François

Bon

a choisi de respecter le texte originel, jusqu’ici inédit en français. Il le respecte sur la forme, en conservant des phrases longues avec leurs tirets, ou en reprenant les nuances des conjugaisons. Nous avons donc une traduction au plus près du texte. Et quel texte ! Nous avons donc, pour la première fois, l’esprit et la forme

lovecraft

iens, agrémentés d’une intéressante postface.

Mais commençons par le commencement.

La forme est un classique

lovecraft

ien.
Il s’agit de la confession écrite d’un homme, qui raconte les évènements surnaturels auxquels il a été confronté. Revenant d’Australie en bateau, il a donc le temps de prendre la plume pour tout mettre par écrit.
Universitaire enseignant l’économie, il a été du jour au lendemain comme dépossédé de son corps. Une intelligence semble avoir pris le contrôle de son corps, ce qui a été le début de son malheur. Divorcé, il ne gardera des relations qu’avec son fils aîné.
Parole et voix bizarre, fringale de connaissances et lectures compulsives, afin d’accumuler tous les savoirs, assortis d’une longue période d’amnésie de trois ans. Mais la possession n’est pas à sens unique.
Notre homme s’est aussi retrouvé dans la peau d’une étrange entité, vivant bien longtemps avant l’homme, dans une société techniquement extrêmement avancée. Une Terre étrange, où la végétation ne correspond à rien de connu. Avec une architecture étrange et déconcertante, et des voyages avec l’atome pour carburant. Un voyage au cours duquel il a pu s’entretenir de possédés de différentes époques, jusqu’à un Atlante.
C’est l’époque de la Grand’Race, qui vit dans la crainte d’un retour des Grands Anciens, ces envahisseurs venus de l’espace, terrés sous terre, dans des fosses scellées.

Une fois revenu à une vie normale, notre homme va se plonger dans tout ce qui peut expliquer son expérience. Il compulse donc les livres et la presse, et note tout ce qu’il trouve. Fort de ses découvertes, il se décide à partir explorer l’Australie intérieure, mystérieuse et désertique.
C’est là qu’il va découvrir d’étranges lieux et d’étranges secrets, au cours d’une nuit hallucinante. Nous retrouvons là un grand classique

lovecraft

ien : la plongée dans l’inconnu, l’incompréhensible et l’inconcevable, qui déchire le voile exotérique de la réalité.
Avec, excusez du peu, la prose originelle enfin restituée, et remarquablement traduite.

Pourquoi (re)lire ce livre ?

Pourquoi le lire ?
Pour ne néophyte qui ignore

Lovecraft

, c’est l’occasion de découvrir l’auteur dans ce qu’il a de plus original et originel.
Pour le connaisseur, c’est une véritable découverte de

Lovecraft

. Oui, une découverte et pas une redécouverte.
Une écriture étrange, qui n’a rien des scansions elliptiques sur l’indicible et l’indescriptible qui font basculer dans la folie.
Ici, la phrase peut se faire longue, avec des tirets et des virgules, sans pour autant les centaines de mots des phrases proustiennes. Etrangement même, l’écriture est plutôt froide, clinique et détachée. Il n’y a rien de fiévreux ni d’impétueux.
Nous sommes face à un homme rationnel, confronté à l’inconnu, à un mal que la science n’arrive pas à comprendre ni guérir. Il va donc essayer lui-même de comprendre ce qui lui est arrivé. Nous ne partons donc pas d’un féru d’occultisme, de l’adorateur d’une secte mystérieuse, ni de quoi que ce soit d’autre.
Et cette approche, finalement très scientifique, est une belle porte d’entrée dans l’univers

lovecraft

ien, notamment sa rupture brutale et incompréhensible avec un univers connu. C’est également l’un des textes de

Lovecraft

les plus détaillés pour ce qui concerne l’architecture, les sciences et la technologie. Qui permet de mesurer l’importance de ces thèmes, chez ce natif de la Nouvelle Angleterre, passionné de sciences.
Ajoutons à cela un clin d’œil amical à son grand ami Robert E. Howard.

La science justement, est aussi un aspect fondamental du texte.

Lovecraft

a vécu une époque passionnante, celle de la destruction de la vision mécaniste héritée de Newton et Galilée. Le temps a subi la révolution relativiste d’Einstein, et Neptune a laissé sa dernière place à Pluton, récemment découverte. Si nous ne sommes pas dans la hard-science, nous sommes toutefois dans l’œuvre d’un curieux, soucieux d’intégrer les révolutions scientifiques à son texte. L’utilisation de l’énergie de l’atome montre la connaissance de la relativité restreinte. Cet apport scientifique est d’autant plus passionnant qu’il brouille les cartes. Certes, à l’époque, les genres (science-fiction et fantastique voire fantasy au sens anglo-saxon) n’étaient pas aussi dissociés qu’aujourd’hui. Et

Lovecraft

joue sur plusieurs tableaux, mêlant allègrement fantastique, horreur et science-fiction.
Cela nous permet de comprendre l’inspiration et l’imagination d’un auteur singulier, qui marqua la littérature au fer rouge, à la manière d’un Kafka ou d’un Borges, avec lesquels il peut rivaliser.

Nous avons aussi là un texte d’époque, qui date du milieu des années 30. L’économie de la société pré-humaine est décrite comme un socialisme fasciste, qui assure une distribution égalitaire des richesses.
Nous touchons là un aspect important et dérangeant de

Lovecraft

, que François

Bon

éclaire dans sa postface.
Loin d’être l’œuvre d’un opportuniste profitant de la subite et large renommée de

Lovecraft

, c’est avant tout l’œuvre d’un érudit et d’un admirateur, soucieux de faire découvrir le vrai

Lovecraft

. La préface, présentation générale de

Lovecraft

et de sa démarche de traducteur, est intéressante. Mais la postface, consacrée uniquement à Dans l’abîme du temps, est un texte passionnant.
A l’époque du texte, les Etats-Unis sont ravagés par la grande dépression, et le capitalisme n’arrive pas à se sortir de sa crise. Seule la seconde guerre mondiale triomphera d’une crise, que le New deal n’a jamais réussi à enrayer.
Lovecrat s’intéresse donc à ce qui se fait, mais aussi à ce qui s’écrit. Raciste et réactionnaire, homme d’ordre aux aspirations sociales, sa sympathie va d’abord vers Hitler, qu’il prend bien à tort pour un héritier de Bismarck. Il s’en détournera bien heureusement, et l’éclairage de François

Bon

à ce propos est passionnant. Révulsé par la continuation stalinienne du bochevisme, il va plutôt incliner vers le menchevisme, en rupture donc avec Hitler et toute autre forme de totalitarisme. Le texte montre bien cet oscillation entre les régimes qui se proclamaient comme des alternatives au capitalisme en crise. En montrant une économie de type fasciste socialiste et égalitaire, mais sans entrer dans les détails, Lovecrat nous offre un éclairage intéressant sur sa pensée et ses aspirations, notamment au début des années 30. Cela permet de contextualiser et de comprendre ses sympathies problématiques.
Son évolution le mènera vers le menchevisme. Elle montre un tournant intéressant, cherchant à concilier le socialisme (l’égalité) avec la liberté (la démocratie), en tournant le dos aux régimes totalitaires, sans se résigner à l’impuissance face à la crise, ou à la barbarie de la guerre à venir.

Texte important sur le plan littéraire, celui d’un

Lovecraft

mature, qui esquisse les liens de ce que Derleth allait transformer en mythologie. Mais aussi texte important sur la politique, où

Lovecraft

expose son idéal d’une société organisée, scientifique et égalitaire, idéaux qui dépassent ses errements idéologiques, et qui restent incroyablement actuels de nos jours.


Le travail salutaire de François

Bon

nous permet de découvrir la véritable stature d’un écrivain majeur, enfin récompensé par un travail éditorial digne de ce nom.
Indispensable.




Alors nous y voilà.
Un monde où toutes les peurs peuvent surgir du contexte le plus ordinaire et qui nous livre en même temps le plus étrange quotidien de l’Amérique début de siècle.
Des monstres dans les replis de la mer ou les fonds reculés de la terre, la possibilité de traversées du temps, l’étonnement de mondes précédant le nôtre.
Mais tout cela au nom d’un mystère autrement plus haut, celui de la littérature elle-même, qui nous fait en appeler à l’histoire qu’on vous raconte, pour tenir dans le désarroi du monde.
François Bon

Né aux États-Unis en 1890 et mort en 1937, Howard Phillips Lovecraft est considéré aujourd’hui comme l’un des écrivains d’horreur et de science-fiction les plus importants du XXe siècle. Il a inspiré de nombreux auteurs dont Stephen King.





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