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morca

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Charles Burns

Black Hole


Black Hole

La critique du livre
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Dans une ville américaine, qu’on aurait pu imaginer sans histoires, de jeunes adolescents vivent un évènement des plus angoissants : une épidémie de Crève. La Crève se transmet sexuellement. Elle transforme et mutile les corps, obligeant ses victimes à vivre en parias...
On pense bien sûr au sida. Mais c’est pourtant bien plus loin que Burns nous emmène. Lui même avoue avoir construit le scénario sur ce qu’il a vécu, lui et ses amis, dans les années 70 à Seattle. Loin d’un récit autobiographique, Burns met en scène les remous qui agitent l’individu lors de l’adolescence : l’étrangeté d’un corps qui se modifie, l’appréhension de la découverte de la sexualité.
Mais ce serait encore diminuer l’intérêt de l’oeuvre que d’en faire un récit du passage de l’enfance à l’âge adulte. A travers cette transformation, Burns agite ce qui git au fond de nous, et pas de n’importe quelle manière. C’est un rapport au monde et au corps qu’il presse pour en sortir le suc cauchemardesque, les vérités inconscientes, donnant au récit un ton sévèrement fantastique. Fantastique au sens littéraire, ou au sens du genre, tel que je le conçois : un récit où les craintes inconscientes se réalisent, générant l’horreur. Black Hole : un trou noir qui nous happe pour nous emmener vers un ailleurs inquiétant, sans retour possible, et laissant un goût de perte irrémédiable.



Pour mettre en oeuvre ce rêve fiévreux, Burns sort le grand jeu. Un graphisme d’une tenue parfaite dont la première qualité, frappante, est un encrage plus noir que blanc. Un trait d’une maîtrise quasi clinique. Des cases dont la composition fait penser qu’elles ont été taillées au millimètre. Des planches à la mise en page savante. Le tout donnant à l’ensemble un aspect dérangeant, une sorte de comics entre hyperréalisme et pop-art.
Mais ce n’est pas fini. A toutes ces qualités - elles en sont car elles soutiennent le récit de façon parfaite - s’ajoutent bien d’autres encore.
On pourrait parler des renvois de signes à travers tout l’ouvrage. Les quelques cases ci-dessus en sont un exemple flagrant et comme concaténé : images rapprochées (elles apparaissaient plus avant ou apparaitront plus tard dans l’ouvrage) où l’ouverture d’un abdomen de grenouille en cours de sciences est la blessure au pied est la béance d’une mue peaussière est un vagin suggéré. Flagrant ici, disais-je, mais peut-être moins ces cercles qui sont autant les ondulations de l’eau où l’héroïne se baignera que le rêve même et ce qu’il garde des terrifiantes profondeurs abyssales qu‘un jeu hypnotique et, au final, qu’un trou noir, Black Hole, qui renvoie lui-même à nouveau à la béance, la plaie, le sexe.
Ces renvois de signes ne sont pas gratuits. Il ne s’agit pas là d’un simple jeu formel. Je connais ce système pour l’avoir utilisé en 96 dans un travail au beaux-arts : les signes se chargent de sens les uns les autres pour former un tout, un système cohérent de sens. On pourrait presque dire que de façon isolé chaque signe est insensé et ne signifie que de ce qu’il se tient des autres. Black Hole est, de fait, la première bd que je lis où ce système est mis en place de façon clairement volontaire et réfléchie.
On pourrait également parler de la narration, qui use de la “voix off” à la première personne, le narrateur changeant suivant les chapitres, mettant le lecteur en place de ce “je”, l’emmenant visiter diverses intériorités, et, au final, le laissant dans une situation inconfortable.
On pourrait parler de l'abolition du temps, lorsque certaines images rappellent ce qui a été, alors que d'autres rappellent ce qui va être, laissant place peut-être à l'inéluctable, ou, encore, à un lieu proche, encore une fois, d'un inconscient dont on dit qu'il fait fi de chronologie.
On pourrait en parler des heures car Burns sort le grand jeu. Un travail d’une telle tenue que Robert Crumb avait dit un jour qu’il était “presque inhumain”. Un ouvrage qui prouve, s’il était encore besoin, que la BD, sous son abréviation presque grotesque, est un art à part entière offrant des oeuvres égalant celles des arts dit majeurs, catégorisation sans doute obsolète.



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